Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
27 novembre 2020 5 27 /11 /novembre /2020 15:32

 

Maurice Etienne Legrand, dit Franc-Nohain, est né le 25 octobre 1872 à Corbigny dans la Nièvre.

Elève au lycée de Nevers, puis de Janson-de-Sailly, il se lie d’amitié avec André Gide et Pierre Louÿs.

Avocat, chef de cabinet de préfecture, puis sous-préfet, il abandonne l’administration pour se lancer dans le journalisme, la littérature et la poésie et devient proche d’Alfred Jarry.

Il choisit le nom de « Nohain » en hommage à la rivière le Nohain, affluent de la Loire, traversant Donzy (Nièvre), lieu de ses vacances d’enfance.

Alphonse Allais est témoin à son mariage, en 1899, avec l’artiste peintre et illustratrice Marie-Madeleine Dauphin (1879 - 1942).

Ils auront deux fils, le parolier et animateur Jean Nohain (dit Jaboune) (1900 – 1981) et le comédien Claude Dauphin (1903 – 1978), et une fille, Francine Dauphin (1914 – 1970), illustratrice.  

En 1932 il reçoit le grand prix de littérature de l’Académie française.

Il s’éteint à Paris, le 18 octobre 1934, et est inhumé au cimetière du Père-Lachaise.

Franc-Nohain. De la Mer aux Vosges (en passant par Roucy et Pontavert).

Franc-Nohain et la Première Guerre mondiale (d’après le Dictionnaire du Chemin des Dames).

Franc-Nohain est mobilisé à 42 ans comme garde voie. Il devient lieutenant (territorial) au 28e BCP, rattaché à l’état-major de la 164e DI, à partir de fin 1916.

Après un séjour en Alsace il est au Chemin des Dames, au printemps 1917, qu’il quitte pour Verdun.

Il revient dans l’Aisne au moment de l’offensive allemande de fin mai 1918 et finit la guerre au Grand Quartier Général, titulaire de la Légion d’Honneur, de la Croix de guerre et de cinq citations.

En 1921, il rédige ses souvenirs dans un recueil intitulé De la Mer aux Vosges, illustré par des eaux-fortes de son ami Paul-Adrien Bouroux, autre combattant de l’état-major de la 164e DI. L’ouvrage est publié par E. de Boccard, éditeur, 1, rue de Médicis à Paris.

Extraits de l’ouvrage De la Mer aux Vosges :

Page 19 :

« Un méchant chemin de grande ou moyenne communication, pas même une route départementale !... Et voilà le lieu de tous ces combats sanglants, où, pendant des mois, des années, fut suspendue notre angoisse, où il sembla même un instant que devait se jouer le sort de la France !…

Un matin de juillet 1917, après une vertigineuse attaque en direction de la ferme de la Royère, tous les objectifs dépassés, ils étaient là une dizaine de petits chasseurs – l’aîné n’avait pas vingt ans – qui fumaient de gros cigares en surveillant la contre-attaque. Fumer à cinq heures du matin de ces gros cigares boches, durs et verts, qu’est-ce qu’elles auraient dit, si elles les avaient vus, les pauvres mamans de ces héroïques gamins !... Il est vrai que, si elles les avaient vus alors, d’autres sujets d’effroi auraient bouleversé leur sollicitude et leur tendresse, d’autres sujets plus pressants que la crainte, les voyant ainsi fumer, qu’ils n’en fussent malades !... » 

Franc-Nohain. De la Mer aux Vosges (en passant par Roucy et Pontavert).

Pages 29 à 31 :

« … et l’Aisne elle-même avait été sillonnée de péniches propres au transport des blessés, qui naviguaient de concert avec les canonnières redoutables. Oui, la rivière avait été, elle aussi, mobilisée, mobilisée comme la route, comme le chemin de fer avec ses « épis » où s’aiguillaient les pièces de marine et les trains blindés…

Penser que des wagons passeront à nouveau dans cette région, avec leurs compartiments bourrés de commères et de commis-voyageurs ; que l’on circulera à bicyclette sur le Chemin des Dames, et que des pêcheurs à la ligne s’installeront paisiblement le long des rives charmantes de l’Aisne et de la Vesle !... Mais oui, il y avait eu des pêcheurs à la ligne au pont de Pontavert, par exemple, il y en aura encore !... J’évoque Pontavert comme un des endroits les plus sinistres qu’il m’ait été donné de traverser ; endroit sinistre à la fois, et sournois : le village n’était pas encore démoli complètement ; on y arrivait par une route à peu près tranquille, venant de Roucy, qui était un des grands observatoires de la région, avec la ferme de Beauregard. C’est à la ferme de Beauregard ou au Moulin de Roucy que l’on avait la plus complète vue d’ensemble de cet immense paysage de bataille, jusqu’aux plateaux d’Hurtebise et de Craonne. Paysage de bataille éternel, et que Napoléon, lui aussi, avait contemplé en 1814. On s’est souvent demandé – question piquante mais oiseuse – ce que Napoléon aurait dit et fait, le Napoléon de 1814, s’il s’était tout à coup retrouvé en 1917 ou 1918 : la seule chose que l’on puisse répondre à peu près sûrement, c’est qu’il eût été bien étonné !... en tout cas il eût été, à tout le moins, aussi étonné que nous, ce jour où, à une demi-heure d’intervalle, dans la prairie qui dévalait près du Moulin de Roucy, nous vîmes atterrir frais et dispos, en parachute, deux observateurs dont les aviateurs ou les artilleurs allemands venaient d’incendier coup sur coup les « saucisses »… 

Ce jour-là, si l’on avait dû traverser Pontavert, eût-il fallu prendre à gauche ou à droite ? Ce qui caractérisait en effet si agréablement ce joli village, c’est qu’il y avait toujours des obus à y recevoir. On s’arrêtait bien sagement, avant d’y pénétrer, près d’une tuilerie ; de là, on cherchait à se rendre compte si l’artilleur boche misait sur le tableau de gauche ou sur celui de droite, après quoi on filait à droite ou à gauche, en souhaitant simplement que la fantaisie ne lui prît pas tout à coup de changer sa chance, - et la nôtre, - en modifiant brusquement sa série… Il n’y avait pas de flâneurs, dans les rues de Pontavert, et l’on n’y voyait que des gens courir, ce qui, pour le nouvel arrivant, est toujours un indice de mauvais augure, et un spectacle peu rassérénant…

Si le hasard me ramène quelque jour à Pontavert, j’aimerai m’y promener à tous petits pas. Mais il faut faire un effort pour imaginer que l’on pourrait un jour, tranquillement, aller dans un de ces petits villages, où la vie aurait repris paisible et quotidienne, s’arrêter chez l’épicier d’Oulches, aller acheter des cigarettes au débit de tabac de Dravegny (et d’abord qu’il y eût à nouveau des cigarettes…)

Page 43 :

… « On a pu dire que l’un des vainqueurs de la Marne – entre Gallieni et le maréchal Joffre – avait été sans doute le vin de Champagne. Et il est bien vrai que, jusqu’aux points extrêmes de leur avance vers Paris, on remarqua, après leur départ, que les Boches avaient bu du champagne, et apparemment en avaient trop bu ; en arrière des éléments de tranchées hâtifs et rudimentaires que l’on creusait alors, on retrouvait des amoncellements de bouteilles, dont le goulot même avait été cassé, pour les vider plus vite, les bouteilles dont les Allemands remplissaient au passage, à travers le pays champenois, leurs sacs et leurs musettes, et qui les laissèrent déprimés, exténués, ivres de vin, de peur et de fatigue, devant le foudroyant retour offensif de l’armée française. Comme cela est éloquent et joli, cette participation réelle du vin de Champagne à notre victoire, champagne à qui l’on prête avec raison les meilleures vertus de notre race, spirituel, hardi, pétillant, mousseux, comme la France elle-même, et par qui, pour une part, la France devait être sauvée !

Mais surtout n’était-il pas naturel et juste que Reims, cité du vin de Champagne, fût vraiment sauvée par son vin de Champagne ? »  

Partager cet article
Repost0
23 mai 2020 6 23 /05 /mai /2020 09:36

.

 

En 1914, Octave Marchand (21.01.1881 – 21.12.1973) est clerc de notaire à Montlhéry (Seine-et-Oise). Il est marié et père de trois enfants lors de la déclaration de guerre. Un quatrième enfant va naître en octobre 1914.

Il débute la guerre comme sergent fourrier au 131e R.I. (Régiment d’Infanterie) à Orléans. Le 25 août, il rejoint son régiment sur le front, en Argonne puis dans la Somme.

En janvier 1917, il est dans l’Aisne, aux environs de Concevreux - Ventelay, où il est chargé du cantonnement.

Comme beaucoup d’autres, son chemin passe par Roucy, notamment pendant l’offensive Nivelle d’avril 1917.

 

Le 19 juillet 1917, à la suite d’une circulaire concernant les pères de quatre enfants, il quittera le 131e R.I. pour intégrer le 66e R.I.T. (Régiment d’infanterie territoriale).

 

Le sergent fourrier Octave Désiré Marchand a tenu ses carnets de route du 1er août 1914 au lendemain de l’armistice de 1918.

Dès le 18 septembre 1914, il écrit : « Ces douleurs, ces plaintes, cette horrible vision du sang qui coule à flot des blessures, n’ont plus d’effet sur moi ; mon cœur, jadis si sensible, est devenu dur comme pierre. »

Et le 3 janvier 1915, il note : « les pauvres condamnés à mort que nous sommes ! »

 

C’est à sa petite-fille, Christiane Marchand Burgan, que l’on doit de connaître ce document exceptionnel, publié en 1999 aux Editions Osmondes, sous le titre L’Enfer au quotidien. Carnets de route.

 

Nous en extrayons quelques courts extraits concernant notre village.

Pages 353-354 (il cantonne alors à Concevreux).

« 13 Janvier (1917)

Après la soupe du matin, je me rends, pour les besoins du service, à la Prévôté de la 69ème d’Infanterie de Roucy.

En cours de route, je remarque que toutes les routes, et la ligne de chemin de fer départemental, sont camouflées, avec des branchages et des toiles, pour les cacher aux vues de l’ennemi.

Roucy, la Grande Rue, camouflée par des toiles.

 

A Roucy, je remarque : Le château, établi sur une colline, au milieu du village qu’il domine, a reçu plusieurs obus, l’aile Nord et la couverture sont endommagées, plusieurs arbres du parc entourant le château sont coupés par les obus.

Le château de Roucy endommagé.

 

Les restes d’une abbaye, se trouvant en face du château, de l’autre côté de la rue.

Un certain nombre de maisons, touchées par les obus.

Et le cimetière militaire, où reposent une centaine de soldats français et quelques soldats allemands.

Je rentre à Concevreux, en longeant la ligne du chemin de fer, et je remarque de nombreux ouvrages de défense, établis au bas des coteaux, faisant face à l’Aisne, en face Chaubarde (Chaudardes).

L’Aisne déborde de tous côtés, les aux arrivent jusqu’au tablier du pont ; et la campagne est toute inondée, ce qui rend pénible le ravitaillement en ligne. (froid et neige) »

Page 354.

… « 15 Janvier

Dans la matinée, je me rends à Roucy, pour aller chercher du matériel pour le cantonnement. Le temps reste froid et neigeux. En ligne, le calme continue à régner ; quelques obus, et c’est tout. »

 

Page 358.

… « 1er Février

Le temps reste extrêmement froid, le matin en particulier. Dès que l’on sort dehors, la barbe et les moustaches sont blanches de glace. Je ne me souviens pas avoir vu un hiver aussi rigoureux.

Roucy sous la neige (en 1918).

 

Je reçois un colis de mes bons parents contenant notamment des œufs durs, transformés en blocs de glace, que je suis obligé de faire dégeler sur le poêle pour pouvoir les manger. »

Page 359.

... « 3 Février

… Le froid est de plus en plus rigoureux et il parait que le thermomètre descend de 15° à 18° en dessous de zéro. La terre est couverte de neige et un vent glacial ne cesse de souffler.

La gare de Roucy.

Le réservoir d'eau recouvert par la glace.

 

… Une épidémie de rougeole et de scarlatine éclate dans le camp et un certain nombre d’hommes sont évacués.

Le ravitaillement est extrêmement difficile, les chevaux glissent et tombent à chaque instant sur les routes. Le pain, les légumes et le vin sont complètement gelés et les hommes sont obligés de les faire dégeler au feu. Le pain est coupé à la hache, rien à faire pour le couper au couteau.

J’ai un fort rhume de cerveau et ne cesse de moucher et de tousser. Dans la journée, le soleil se montre un peu, mais le froid reste le même.

Page 363.

… « 17 Février

Le dégel commence. Les permissionnaires rentrent en grand nombre. »

Pages 371-372.

… « 2 Avril

Je reste à Ventelay pour m’occuper de la nourriture de tous les hommes du régiment détachés dans le village.

Le pays regorge de troupes de toutes armes ; d’innombrables voitures et camions transportent des obus et du matériel vers les lignes.

Vers 13 heures le Président Poincarré, le général Nivelle et d’autres généraux, et quelques civils passent en auto à Ventelay et se dirigent vers Roucy, qui est bombardé.

Le Président occupe la 2ème voiture. Deux officiers montés sur la 1ère voiture nous crient : « saluez la 2ème voiture » et les soldats saluent. »

Page 372.

 … « 4 Avril

Temps froid et pluvieux. L’animation est grande dans le village, notamment à la chute du jour, au moment où voitures et camions de ravitaillement montent vers les lignes, en passant par Roucy et Pontavert.

 

5 Avril

Rien à signaler dans la matinée. Dans l’après-midi, l’officier de détails me charge de conduire des effets aux pionniers de la Compagnie qui sont en ligne au nord de Pontavert, dans le ravin des tombes.

Nous partons en voiture vers 18 h et nous nous plaçons dans l’interminable convoi de voitures et de camions se dirigeant vers Roucy. Les arrêts sont très fréquents et assez longs, en raison de l’affluence des véhicules.

Nous passons à Roucy, qui est bombardé, sans encombre, puis nous nous dirigeons vers Pontavert et traversons les passerelles établies par le Génie sur le canal et sur l’Aisne ; puis nous tournons à droite, en longeant le parc du château ; puis à gauche, où nous trouvons l’allée des tombes, ainsi dénommée à cause de nombreuses tombes de soldats qui se trouvent en cet endroit. »

Pontavert. Passerelle sur l'Aisne, à côté du pont détruit.

Page 375.

… « 14 Avril

Les opérations sont ajournées de 24 heures.

Le régiment doit monter en ligne dans la nuit ; il est désigné comme réserve de Corps d’Armée et va se masser dans les bois entre Roucy et Concevreux. »

Page 376.

… « 15 Avril

Le régiment monte en réserve à Roucy. »

… « C’est demain « jour J » que doit avoir lieu la grande attaque sur le front Reims-Soissons.

Toute la journée et toute la nuit, une furieuse canonnade est déchaînée sur tout le front. La terre tremble sous les coups et un formidable tonnerre gronde sur toute la ligne.

 

16 Avril

Aujourd’hui « jour J » - Jour d’attaque. Vers 7h. nous apprenons que les premières lignes allemandes sont prises sur tout le front et que les prisonniers et le matériel capturés sont nombreux. Les Allemands offrent une grande résistance et les pertes sont sévères des deux côtés.

La canonnade ne cesse pas un instant, et continue à gronder terriblement, notamment au cours de la nuit. Les Allemands doivent contre-attaquer.

 

17 Avril

Temps déplorable, la neige et la pluie ne cessent de tomber et un vent glacial coupe la figure. La pluie et le vent éteignent les feux.

Le régiment a dû prendre position au cours de la nuit. Je vois passer 2 ou 300 prisonniers allemands faits la veille. Tous sont havres et fatigués et respirent la misère. Un cortège de prisonniers blessés fait peine à voir, ainsi d’ailleurs que celui de nos camarades qui descendent des lignes, pâles et couverts de boue. »

Page 377.

« 19 Avril

Notre offensive se ralentit pour des raisons que nous ignorons… »

Page 382.

… « 21 Mai

Temps chaud et orageux. Forte canonnade en ligne.

Vers 14 heures nous entendons des coups de mitrailleuses dans la direction de la saucisse (ballon d’observation) qui se trouve entre Roucy et Bouvancourt. Nous apercevons un avion allemand qui descend des nuages et survole de très près la saucisse qu’il mitraille avec des balles incendiaires. Nous voyons l’observateur qui se jette en dehors de la nacelle et descend en parachute.

Saucisse incendiée.

 

Au même instant, une petite flamme orange sort du ballon ; en un clin d’œil celui-ci est complètement embrasé et tombe vers le sol en dégageant une épaisse fumée noire. Un instant nous craignons que l’enveloppe enflammée ne tombe sur le parachute et ne carbonise le malheureux observateur qui descend doucement vers le sol.

L’avion allemand se dirige aussitôt vers l’autre saucisse qui se trouve à gauche de la première et la mitraille de très près ; celle-ci prend feu à son tour et nous apercevons l’observateur descendre en parachute, comme son camarade. Une minute après, il ne reste plus qu’un nuage de fumée noire où se trouvaient nos deux saucisses.

L’avion ennemi, canonné par nos canons spéciaux, disparaît vers ses lignes.

A la chute du jour, vers 21 heures alors que nous prenions le frais, assis près de nos tentes, nous entendons le bruit d’un avion que nous voyons descendre des nuages et fondre sur un de nos ballons d’observation, à droite de la ferme du Faité, près de Roucy.

Saucisse observant le front vers Craonne.

 

Nous entendons les mitrailleuses de l’avion et voyons de nombreuses étincelles de feu qui sont des balles incendiaires destinées à enflammer le gaz du ballon.

Au même instant, notre mitrailleuse de garde au ballon, tire sur l’avion, avec, également, des balles incendiaires que nous voyons partir en gerbe, de terre, et monter en direction de l’avion. L’aviateur a manqué son coup et sans doute effrayé par le tir de notre mitrailleuse et de ses balles incendiaires, remonte dans les nuages et disparait.

Aux premiers coups de la mitrailleuse ennemie, l’observateur s’était jeté en parachute. »

Pages 389 à 391.

… « 30 Juin

Le régiment quitte le camp à 2 heures pour remonter en ligne.

Nous empruntons le même itinéraire que pour l’aller, c’est-à-dire Courville, Unchair, Breuil, Romain et Ventelay, où le 2ème bataillon et la Compagnie H.R cantonnent. Le colonel, et les 1er et 3ème bataillons cantonnent à Roucy, et dans les bois environnants.

En cours de route, la pluie tombe  à torrent et nous sommes trempés et couverts de boue en arrivant au cantonnement. Espérons que l’intendance pensera un jour à nous donner un vêtement imperméable, aussi modeste soit-il !!

Je passe le reste de la journée à parcourir les rues de Ventelay pour trouver un logement aux officiers de la Compagnie.

Je loge au n° 21 de la rue de Roucy, dans une petite pièce sans mobilier… »

 

… « 1er Juillet

… Dans la soirée, je vais, à Roucy, communiquer au bureau du colonel, qui est installé dans une cave, sous la maison du notaire, rue de Pontavert, en face du château.

Le village est bombardé chaque jour ; malgré cela, un certain nombre de civils habitent encore le malheureux pays qui est fort endommagé par les obus.

Le château, qui domine le pays, a été touché plusieurs fois.

 

2 Juillet

Temps chaud et superbe. Dans l’après-midi, je retourne à Roucy, pour prendre les ordres. Je reviens par des sentiers défilés sous bois, d’où l’on voit très bien les lignes de Craonne à Berry au Bac.

 

3 Juillet

Beau temps. Je vois, sur les journaux, que les Russes ont pris l’offensive et fait 8 000 prisonniers.

Dans la soirée, je me rends à Roucy, pour payer le prêt à des hommes de la Compagnie.

Je reviens par le sentier défilé à travers bois, et je m’arrête quelques instants à un observatoire établi sur le sommet de la crête, d’où l’on découvre très bien les lignes depuis Craonne jusqu’à Berry au Bac. »

 

…« 4 Juillet

… Vers 22 heures, les Allemands bombardent Roucy avec de gros projectiles ; les explosions secouent la petite maison où je loge. »

Page 392.

… » 16 Juillet

Dans l’après-midi, je suis chargé de conduire un détachement de six hommes condamnés par les Conseils de guerre, à diverses peines ; parmi ces hommes : deux blessés non guéris et un père de 5 enfants. Ces soldats qui n’avaient pas à revenir au front, ont compris un peu trop tard, l’inconvénient qu’il y a de faire la forte tête à l’arrière.

Nous passons Roucy, et arrivons au Bois Savard (Bois Savart), entre Roucy et Pontavert, à gauche de la route – où je laisse mes prisonniers qui doivent monter en ligne au cours de la nuit, avec le ravitaillement.

Je reviens à Ventelay par la piste, au Sud de la route de Pontavert, et passe au Sud de Roucy, d’où l’on découvre l’immense panorama des lignes depuis Craonne jusqu’à Berry au Bac.

L’artillerie allemande bombarde nos positions en divers endroits et notamment aux environs de Pontavert, d’épaisses colonnes de fumée noire, produites par l’éclatement des obus s’élèvent de tous côtés.

Je rencontre deux vieilles femmes qui travaillent dans un champ de vigne, sans avoir l’air de se soucier que l’endroit où elles se trouvent peut encore être bombardé, ainsi que le prouvent les grands trous d’obus que l’on voit de distance en distance. Ces pauvres vieilles, qui habitent Roucy, où les obus tombent journellement, continuent à cultiver leur vigne pour faire pousser le raisin qui sera sans doute récolté par les soldats ; ceci prouve bien l’attachement du paysan à sa terre… »

Page 393.

… « 19 Juillet

Vers 2 h. du matin, alors que je dormais sur ma couchette dans la cave, le sergent-major vient me réveiller, et m’annonce que je quittais le régiment le matin même, à 8 heures, pour être dirigé sur le 5ème bataillon du 66ème Régiment Territorial à Arics le Ponsart, avec plusieurs camarades, pères, comme moi, de 4 enfants ou ayant eu 3 frères tués. Et ce, par suite d’une circulaire du Grand Quartier Général, en date du 5 Juillet 1917.

Je me levai presque aussitôt pour faire mes préparatifs de départ et réveiller les hommes devant partir avec moi.

La pluie tombe.

J’ai le cœur un peu serré à la pensée de quitter mes camarades et mon régiment où je suis bientôt depuis 3 ans (le 2 Avril 14) (en fait 2 août 14).

D’autre part, mon devoir de père de famille m’oblige aussi à penser à l’avenir des miens et je suis décidé à suivre le sort que la loi m’assigne. »…

NDLR

Octave Marchand a reçu la Croix de guerre (1917) et la médaille de l’Argonne (1963).

Proposé pour la médaille militaire fin novembre 1914, elle lui sera remise le 4 septembre… 1960.  

Registre matricule d'Octave Marchand

 

N.D.L.R : les illustrations de cet article ne figurent pas dans l'ouvrage, mais appartiennent à des collections privées.

Partager cet article
Repost0
27 avril 2020 1 27 /04 /avril /2020 05:20

La rue de l'Auditoire, aujourd'hui rue de la Fontaine.

En 1833, Monsieur Delhorbe, ancien géomètre de première classe, habitant rue de l’Auditoire à Roucy, publie une deuxième édition, revue et corrigée, de son Nouveau traité de géométrie - Théorie-pratique, suivi de la division des champs, etc., imprimée à RHEIMS, Imprimerie GUYOT-ROBLET, rue des Deux-Anges.

Il n’est pas question de reproduire ici, même partiellement, cet ouvrage mais seulement l’intéressante préface de ce livre devenu fort rare.

N.B. : l’orthographe a été respectée.

.

 

PREFACE.

 

Si les années pouvaient immortaliser un ouvrage ; si l’estime que plusieurs siècles lui accordent était un titre qui défendît de toucher au sujet dont il est l’objet, ou à la méthode de l’auteur, nous nous serions abstenu d’écrire. Il a existé, ce préjugé ! mais le temps heureux où nous vivons, et où l’esprit de servitude s’évanouit de plus en plus, l’a fait disparaître ! et surtout en particulier pour les sujets que nous entreprenons de traiter.

Déjà nous pourrions citer les noms des auteurs dont l’exemple nous mettrait à l’abri de tout reproche. L’assentiment qu’on a donné aux nombreux succès mérités par leur entreprise, en est la preuve ; mais si nous avons quelque chose à craindre, ce serait de vouloir être plus moderne que les modernes mêmes, plutôt que de suivre de près les anciens.

Si une entreprise heureuse était preuve sûre d’une habileté sublime et jamais le fruit d’un plus grand génie, ou d’une profonde érudition, cette pensée nous aurait imposé silence, et sur l’utilité de l’ouvrage que nous destinons au public, nous ne nous en serions rapporté, ni à nous yeux, ni à ceux de nos amis. Mais il y a longtemps qu’on a dit que l’homme d’une coudée voit plus loin qu’un géant, dès que celui-ci veut bien l’élever sur ses épaules. Il se passe quelquefois un demi-siècle avant de voir un nouvel auteur qui ait en même temps et assez de courage, d’étendue d’esprit et de pénétration pour s’ouvrir un chemin à ce que les autres hommes regardaient comme inacessible. Il n’appartient encore qu’aux génies du premier ordre de tracer un sentier nouveau à ce qui est déjà connu, surtout quand la route ordinaire, a pour elle, outre la force de la coutume, le poids des préjugés autorisés par des siècles. Mais dès qu’une fois on a appris à se former sur ses exemples, à se servir de ses yeux, à faire usage de ses forces, choisir des sentiers et s’ouvrir des passages, en un mot, à marcher autrement que sur les pas et précisément sur les traces d’un autre, alors, quoiqu’avec un génie inférieur, quand à une bonne intention on joint une grande assiduité, on peut aussi aligner des routes, aplanir des chemins, en trouver de plus courts et de plus aisés. Loin d’obscurcir la gloire de ceux qui ont défriché le terrain, arraché les broussailles, élargi et redressé les voies d’une ténébreuse forêt, où on n’avançait qu’avec force, fatigue et peines, après une infinité de détours, on y contribue plutôt en perfectionnant leur ouvrage, dès qu’on a soin de profiter du jour qu’ils ont donné.

Il est toujours facile d’embellir un sujet sur lequel on voit plus clair.

Un temps était, et il n’est pas fort éloigné du nôtre, où il fut défendu de penser de devenir géomètre par principes, sans se rendre les auteurs du premier rang, familiers. Prévenu de leur opinion, on semblait croire que la route qu’ils ont tracée fût la seule. Il n’était pas facile de donner un nouvel ordre à ce qu’une habitude affermie par des actes cent fois réitérés, et une application infatigable avait rangé d’une certaine manière. La nature même, et le nombre des choses auxquelles il fallait donner une disposition nouvelle, augmentaient la difficulté du projet. Il s’agissait de classer un nombre considérable de propositions dont la plupart n’avaient presque point de liaison entr’elles, et de les mettre dans un ordre qui parût naturel à les imprimer dans la mémoire et à les retenir chacune dans la place qui pût lui convenir. On a osé l’entreprendre, mais cette réforme peut n’avoir pas été portée à sa perfection. Il se pourrait que les premiers auteurs n’y aient pas donné assez de temps, dans la louable impatience où ils étaient de passer a des études dont la sublimité semblait avoir plus de rapport à leur vocation.

L'une des planches illustrant l'ouvrage.

 

Gardez-vous d’exécuter un plan au moment où vous en avez conçu le projet ! Laissez refroidir la prévention que vous avez naturellement de vos propres idées : il est bon de se donner le temps de les oublier, pour être en état de rectifier les premières impressions, et de construire enfin un édifice solide et plus régulier.

Les éléments de géométrie théorie-pratique que nous avons traités, sont destinés à l’utilité des commençans. Aussi tout y est succinct et précis : point d’idées vagues qui rebutent plutôt les élèves que de les attirer. Il leur semble ne rien saisir, et ils ont besoin de toute leur confiance en celui qui les enseigne, pour ne pas s’imaginer qu’on les promène dans le pays des ombres et qu’on ne les repaît que de vent. C’est par des raisonnements justes, lumineux et évidens, qu’on les oblige, en quelque sorte, sans qu’ils le veuillent, de quitter l’ornière où ils semblent être enrayés depuis longtemps.

Autres planches

 

Deux motifs ont dû nous porter, à ne point insérer dans cet ouvrage, les noms, axiôme, théorème, lemme, corollaire, scolie et problème : le premier, que leur usage n’ajoute rien à la clarté des démonstrations ; le second, que la diversité de ces noms fait prendre le change aux élèves, et les conduit ordinairement sur une voie dont l’issue leur est inconnue. Mais s’il leur arrivait d’ouvrir d’autres livres, pour qu’ils ne se croient pas en pays étranger, nous les avertissons, que, axiôme signifie une proposition évidente par elle-même.

Théorême, une proposition qui fait partie de la science de laquelle il s’agit, mais dont la vérité, pour être apperçue, exige un discours raisonné, qu’on nomme démonstration.

Lemme, une proposition, qui ne fait pas essentiellement partie de la théorie, mais qui sert à faciliter le passage d’une proposition à une autre.

Corollaire, une conséquence tirée d’une proposition établie.

Scolie, une remarque ou une récapitulation de ce qui précède.

Problème, une question qui a pour objet, ou d’exécuter quelque opération, ou de démontrer quelque proposition.

Pour atteindre le but que nous nous sommes proposé d’arriver au port où tendent nos désirs, il a été confié à la vérité seule, le soin de conduire nos pinceaux. C’est de cette vérité même, que sont sortis les matériaux composant cet ouvrage. Assiduité dans l’application, sévérité dans l’exactitude, y ont été apportées ; d’ailleurs, tout ce qu’il contient doit être vrai, et peut se vérifier, la plume, le compas et le crayon à la main.

Que l’auteur tremble, s’il n’a pas rempli la tâche qu’il s’est imposée ! car il se verra infailliblement obligé de comparaître devant le tribunal des convenances, où il sera libre d’être le juge de sa cause, et où aussi il sera contraint de se condamner en dernier ressort et sans recours. 

Quand un livre de géométrie devient herbier.

 

Table des matières.  

 

 

Partager cet article
Repost0
19 avril 2020 7 19 /04 /avril /2020 05:16

Raoul Paul Albert Banet-Rivet, né à Marseille le 12 octobre 1888, licencié en droit, est issu d’une lignée d’enseignants.

 

Il vit à Paris quand il est appelé à effectuer son service militaire en octobre 1909 au 9e Bataillon d’Artillerie à Pied (BAP) à Belfort. Il est libéré de ses obligations militaires en septembre 1911.

Employé à la Préfecture de la Seine il est mobilisé, le 2 août 1914, à la déclaration de la guerre, et rejoint le 6e Régiment d’Artillerie à Pied (R.A.P.). Il passera ensuite au 3e R.A.P.  puis au 156e R.A.P.

Il est nommé brigadier le 8 février 1917, puis maréchal des logis le 10 août 1917.  

Raoul Banet-Rivet est cité à l’ordre du 156e R.A.P. le 17 novembre 1918 et décoré de la Croix de guerre « Excellent sous officier courageux et énergique le 15 juillet 1918 s’est offert volontairement et à plusieurs reprises pour porter les ordres de tir sous un violent bombardement par obus explosifs et toxiques de 2 batteries du groupe dont les liaisons téléphoniques étaient coupées – Croix de guerre. » 

Démobilisé le 24 mars 1919, il se retire à Asnières.

Journal de guerre de R. Banet-Rivet

Il a tenu un journal d’août 1914 à mars 1919, « Notes 1914 – 1919 », où il relate sa vie de combattant sur les fronts de Lorraine, de l’Aisne, de Verdun et de Champagne et qu’il a illustré de ses dessins et croquis. Son parcours l’a mené à Roucy qu’il décrit comme un « pittoresque village que domine un blanc château »

 

Découvrons quelques pages de son journal, lors de ses passages à Roucy.

 

Après son incorporation à Toul et les premiers combats en Lorraine, nous le retrouvons dans l’Aisne, en août 1915 :

Pages 50 à 55.

« Ventelay, 19 Août 1915

Nous cantonnons au village, à deux lieues des lignes. Le secteur est calme. Nous avons parcouru ces petites étapes chargés comme des mulets, ce qui a excité l’admiration d’officiers d’infanterie, qui s’imaginaient, sans doute, que nous venions de faire dix lieues !

24 Août 1915

Neuf heures par jour, nous abattons des pins, pour faire des abris à nos camarades montés aux batteries. De la côte voisine, bord du vaste plateau accidenté où niche Ventelay, on domine la vallée de l’Aisne. On y découvre admirablement les positions françaises et allemandes, les tranchées dessinant dans le sol crayeux des lignes blanches visibles de très loin. Eh bien, ce n’est guère encourageant ! Et l’on comprend peut-être mieux pourquoi l’on y regarde à deux fois avant d’attaquer : presque partout, partout, peut-être les Boches occupent le sommet des hauteurs de la rive droite. Ici, plus qu’en Lorraine, cela fait une pénible impression de les voir ainsi implantés chez nous, en plein cœur du pays. Nos lignes sont à mi-côte et notre artillerie se cache dans les bois, au fond de la vallée. C’est probablement là que nous allons nous établir. Nous faisons partie de l’Armée Franchet d’Esperey.

25 Août 1915

Nous coupons toujours du bois. Chaque nuit, les camions automobiles défilent interminablement sur la route et font trembler le mur de notre grange.

1er Septembre 1915

Depuis quelques jours, des avions boches font, au-dessus de nous, de fréquentes reconnaissances, que ne parviennent pas à empêcher des canonnades nourries. On prépare une attaque, pour dans deux ou trois semaines. Il se fait un mouvement extraordinaire de troupes et de matériel de toute sorte.

7 Septembre, 7 h du soir

Il est nuit. J’écris sur ma paille, à la lueur d’une bougie posée sur un piquet de tente fiché entre les pierres du mur. Une longue file de camions américains chargés d’obus de gros calibre vient de passer, montant vers les lignes. La 24ème batterie part ce soir pour les positions. Au fond, nous en avons tous assez, de couper du bois !

12 Septembre 1915

Depuis ce matin, j’assure la liaison avec le commandement de l’artillerie lourde, établi à Roucy, pittoresque village que domine un blanc château. Me voilà plus libre. La route de Ventelay à Roucy franchit une crête d’où l’on découvre les postions.

… On voit, maintenant, les résultats de l’effort accompli de notre côté. Ces énormes tracteurs, remorquant des pièces de gros calibre, donnent le soir surtout, dans la pénombre, une impression de puissance colossale.

En tous sens, des poteaux chargés de lignes téléphoniques jalonnent la campagne. Dans un ravin git une énorme « saucisse » jaune, dissimulée dans la ramure de grands sapins : le treuil à vapeur, les autos chargées de tubes d’hydrogène stationnent alentour. Ailleurs, ce sont des tronçons de la route où des sentiers que dissimulent, aux regards de l’ennemi, des haies artificielles de sapins morts, aux aiguilles roussies. Les côtes les plus élevées sont bossuées d’observatoires, taupinières percées d’une mince visière, par où l’on observe le tir de nos batteries.

17 Septembre 1915

Le ciel est gris et le temps lourd. Le matin, la campagne disparait sous la brume qui fait taire les canons. Le feuillage des grands arbres du parc où se dressent les murs blanchis du château de Roucy, s’est coloré de teintes automnales, que chaque jour accentue. Au pied des collines sur lesquelles serpente la route, la plaine s’étend, vers l’Est, à perte de vue, déserte, semée de petits bois aux formes géométriques où se cachent les batteries allemandes, coupée par la longue ligne blanche et sinueuse des tranchées qui, par endroits, se ramifient en multiples boyaux. A chaque instant, surgissent de là des panaches de fumée, suivis bientôt d’une détonation qu’assourdit la distance : des marmites ou des mines. La fumée monte lentement, très haut ; puis le vent la détache du sol et l’emporte… 

Nous attendons les ordres dans le jardin rustique et vieillot de la maison où s’est établi le commandement de l’artillerie. Il y a, au milieu de la pelouse, un petit bassin d’eau claire, et, tout alentour, des rosiers, des plantes grasses, des roseaux qui balancent à la brise leurs plumets argentés, et beaucoup de jolies fleurs modestes dont j’ignore les noms. Une petite chatte maladive me quémande des caresses. On attend, dans ce jardin, pendant des heures, qui tintent à l’horloge de la petite église romane, surmontée d’une massive tour carrée, encore respectée des obus. Le parc, dont les arbres touffus, s’étagent jusqu’au pied du château, domine ce lieu de paix. La maîtresse du logis, femme d’âge respectable, au long nez surmonté d’un front que paraissent avoir épargné les orages de la vie, aux cheveux gris soigneusement lissés, surveille les travaux d’une servante chétive, perdue dans une ample jupe taillée pour une autre. Entend-on un sifflement suspect, cette vénérable personne, si elle se trouve dehors, se retire sans hâte sur le seuil de sa porte, comme le bonhomme des hygromètres rentre dans sa cabane, lorsque l’humidité tend le crin qui l’attache.

22 Septembre 1915

Le bruit s’est répandu ce soir, dans Roucy, que ce qui restait de civils allait être évacué. Un instant après, le tambour du village confirmait la mauvaise nouvelle… Et la Bonne dame que ni le flux, ni le reflux des Boches n’avaient, voici un an, arrachée de sa vieille demeure, en fut consternée. Pourtant, aidée de sa servante, elle entreprit ses préparatifs de départ. Aucun souffle n’agitait les plumets des roseaux ; le volubilis semblait enlacer plus étroitement le tronc noueux de l’arbre mort ; et le vieux petit jardin, lui-aussi, avait l’air consterné.

23 Septembre 1915

Ce matin, ne voyant pas la petite chatte, je me suis informé d’elle : la bonne l’avait tuée pour « qu’elle ne souffre pas de la faim et soit plus tôt débarrassée ». Ne sachant où se réfugier, la vieille dame se désolait ; près d’elle se tenait sa grosse chienne blanche tachetée, aux yeux doux. Elle ne pouvait, me dit-elle, se résoudre à abandonner Diane, qu’aimait son défunt mari et que lui avait tant recommandée son fils, avant de partir pour l’Armée. Alors, j’entendis un soldat, qui venait d’entrer et, sans doute ne soupçonnait pas la présence de l’hôtesse, dire très haut, en contemplant avec satisfaction la treille chargée de raisins mûrs : « Alors, demain, c’est nous qui seront les propriétaires ici. Quelle belle vendange nous allons faire ! »…

En hâte, les commerçants du village liquidaient leurs marchandises ; et l’on ne voyait que soldats chargés de paquets, de bouteilles, de lapins ; j’aperçus même un cycliste qui filait, tout bourrelé de musettes pleines avec, sur le dos, une poule qui caquetait…

Le temps est lourd et le ciel voilé. Comme la journée est calme ! Tandis que je rentrais à Ventelay par les bois, un avion boche fut pris à partie par nos pièces. Je passais juste devant elles ; et leurs claquements brutaux, multipliés par les échos, se répercutaient au loin dans les ravins boisés, les envahissant comme une grondante marée, aussitôt apaisée.

Pourtant, on a l’impression que ce calme est gros de menaces. C’est celui d’une mer de plomb, quand un grain point à l’horizon.

Roucy, 23 Septembre 1915

Dans le petit jardin, nous attendions les ordres en causant. Au loin, le bruit d’un départ ; un bref sifflement qui croit. Instinctivement, nous nous sommes baissés. L’obus a éclaté dans les champs, un peu plus loin… Ils en ont envoyé une dizaine, à quelques minutes d’intervalle. Il en est tombé un sur la boucherie, dont il ne reste que les murs. En face, devant la maison où loge le « Groupe des canevas de tir », et dont à présent le mur blanc est tout meurtri d’éraflures et les fenêtres sont sans vitres, un conducteur d’auto qui attendait, sur son siège, a été tué par les éclats. Il y a eu quelques blessés.

24 Septembre 1915

Ce matin, de grosses nuées traînaient dans le ciel gris. Sur le plateau de Craonne, la fumée des obus montait jusqu’à elles. De toute part, les canons commencent à tonner. De lourdes fumées rampent sur les tranchées, s’élèvent au-dessus des bois, s’accrochant aux arbres.

29 Septembre 1915

Du moulin de Roucy, où je monte chaque jour, on découvre toute la vallée, parsemée de rares villages, morne comme un désert : pas un être humain. Cela fait penser aux « Pays Muets » de Vigny. De l’autre côté, se dressent des côtes boisées que voilent, par instant, des nuages blancs échevelés par le vent et dont les lambeaux se confondent avec la fumée des obus.

… Chaque matin, en arrivant aux carrières, nous assistons au petit déjeuner des officiers. Ensuite nous sommes admis à humer le fumet de leur cuisine, que nous imaginons délicieuse !

6 Octobre 1915

L’attaque a eu lieu plus à l’Est. »…

Dessin de R. Banet-Rivet. Vue de l'observatoir de Roussy.

Raoul Banet-Rivet va rester dans les environs de Roucy jusqu’en juillet 1916, date de son départ pour Verdun.

Il revient près de Roucy en novembre 1916 :

Page 105 :

« Bois Savart près de Pontavert, 22 Novembre 1916

Au départ de Bois Bourrus, nous avons bivouaqué dans une grange, sur la côte, près de Sivry-la-Perche… Il faisait si froid, sur la terre nue, dans cette grande pièce mal close, que nous avons fait du feu avec des débris de meubles et de vieux cadres, trouvés dans le corps de logis. La nuit d’après, nous avons couché dans des baraques, aux échelons du Bois de Sivry…

Embarqué à… dans des wagons de bestiaux. Plus de quinze heures de voyage, dont toute une nuit, sans bancs, ni paille, gelés, serrés les uns contre les autres comme des bêtes. Notre wagon, ô ironie, portait une étiquette : « denrées périssables, à ne pas différer »…

Hier au soir, cantonné à Fismes, et, pour la première fois depuis 4 mois, dans des maisons habitées.

Nous voici dans ce bois, entre Pontavert et Roucy, où j’allais si souvent l’an passé. Le sol est sablonneux ; il n’y a pas de boue. Comme pièces, des 120 et des 155 longs ; et l’on tire très peu.

24 Novembre 1916

Quel contraste avec Verdun ! On compte les arbres mutilés et les trous d’obus, d’ailleurs anciens. On n’entend que le cri des corbeaux et le roulement très lointain d’une canonnade, sans doute vers la Somme. On est à une lieue des tranchées : on se croirait à 100… »

En mars 1917, Raoul Banet-Rivet est dans la région de Reims.

Le 11 avril 1917 il part pour l’Ecole militaire et d’application de l’artillerie de Fontainebleau, jusque début mai, et ne participera donc pas à l’offensive Nivelle du 16 avril.

Il poursuivra ensuite son parcours militaire jusqu’à l’occupation de l’Allemagne et sa démobilisation en mars 1919.

Après la guerre, il seconde Raul Dautry, directeur général de l’administration des Chemins de Fer de l’Etat, puis il entre à la direction de la Cie Générale Transatlantique où il participe à la construction et au lancement du paquebot Normandie.

En 1939 Raoul Dautry devient ministre de l’armement (du 20 septembre 1939 au 16 juin 1940) et l’appelle pour diriger son cabinet. En 1941, au moment de l’occupation totale de la métropole, Raoul Banet-Rivet part pour Alger. En 1947, il crée et dirige la compagnie à l’origine de la marine marchande du Maroc.

Il a laissé un récit de sa carrière, « Souvenirs 1893 – 1958 ».

Il décède, à Paris, le 21 mai 1962.

Raoul Banet-Rivet

Partager cet article
Repost0
13 novembre 2019 3 13 /11 /novembre /2019 08:31

Revue des Deux Mondes - 18 juillet 1937. PARIS - 15, rue de l'Université.

 

Elie CHAMARD est né à Cholet le 4 janvier 1891.

Industriel et homme de lettres, il participe durant presque cinquante ans aux activités de la Société des sciences, lettres et arts de Cholet dont il est aussi le secrétaire.

Le 8 octobre 1912, il est incorporé au 77e Régiment d'Infanterie et nommé musicien-brancardier le 11 février 1913.

Présent au corps lors de la mobilisation, le 5 août 1914, il est dirigé vers le front comme brancardier.

Pendant l'offensive Nivelle, le régiment va notamment participer à la prise des Bastions de Chevreux (22 mai 1917). Quelques jours auparavant il est au repos dans les carrières de Roucy.

Titulaire de la médaille militaire et de la croix de guerre 1914-1918 avec deux étoiles de bronze, Elie CHAMARD est mort à Cholet le 6 mai 1971.

Extrait, pages 433 à 437 :

 

Les Bois des Couleuvres

 

Il faisait chaud dans ce bois que les hauteurs du Chemin des Dames protégeaient des vents du nord. Le soleil, implacable, dardait ses rayons de feu. Et la faible brise, qui, par instants, soufflait dans la vallée de l’Aisne, ne parvenait pas à rafraîchir le temps orageux. A peine cette brise, d’ailleurs, ridait-elle légèrement les eaux de la rivière et du canal latéral dont les larges méandres allaient se perdre à travers les collines boisées et verdoyantes du Soissonnais.

On était au 20 mai 1917. Relevés des premières lignes dans la nuit du 16 au 17, les bataillons prenaient, avant l’attaque, quelques jours de repos. C’est ainsi qu’ils avaient passé quarante-huit heures dans les carrières de Roucy, longues galeries creusées dans le roc des collines qui dominent la rive sud de l’Aisne. Ces carrières, dont les ouvertures, à peine camouflées, « regardaient » vers l’ennemi, étaient malodorantes, sales, mais éclairées à l’électricité. Les hommes avaient fini par s’y installer tant bien que mal, heureux tout de même d’être à l’abri du bombardement et de pouvoir, en fraude, aller à l’arrière se ravitailler dans les villages voisins.

Le moral était merveilleux, malgré la grande déconvenue du 16 avril. Et chacun se préparait de nouveau à faire, sans hésiter, son devoir pour l’attaque des bastions de Chevreux. L’enlèvement de ce système de courtines se révélait absolument nécessaire afin de parfaire le front du Chemin des Dames dont il fallait prolonger la ligne de Craonne à Chevreux. Et le général Niessel, commandant le 9e corps, avait chargé le 77e de cette opération.

Deux bataillons de ce régiment étaient ainsi arrivés, en ce matin du 20 mai, dans le bois des Couleuvres. Partis au petit jour des carrières de Roucy, ils avaient traversé Concevreux et franchi l’Aisne à Cuiry-les-Chaudardes. Sous les taillis épais, les hommes recherchaient maintenant l’ombre et se dissimulaient à la vue des avions qui, tous les jours, ne cessaient d’inspecter nos lignes. Couchés à même l’humus des feuilles mortes, ils goûtaient la fraîcheur des sous-bois que fleurissait une profusion de muguets. Le soleil paraissait à travers les ramures et posait sur le sol des taches de lumière dorée, mouvantes et magnifiques. L’air embaumait. Cachés dans les verts feuillages, les oiseaux, éperdument, chantaient. Les hommes, se laissant aller à la douceur de vivre, rêvaient… 

Quand, tout à coup, apparaissent d’étranges émissaires, agents de liaison d’un régiment voisin dont un bataillon a refusé hier soir de monter en ligne. Des billets circulent sur lesquels une écriture malhabile annonce que la guerre est finie, que des régiments entiers marchent sur Paris. Des parleurs s’improvisent, - ils ne sont pas du 77e : - « Vous ne savez pas ce qui se passe, les gars, car vous descendez de là-haut. La guerre sera terminée quand vous voudrez. Il suffit d’empêcher les ravitaillements d’obus de parvenir aux batteries et de refuser ce soir, comme nous, de faire la relève… »

Les hommes écoutent sans trop comprendre, lèvent les épaules. Mais les émissaires insistent : « Que faisons-nous ici ? Les ouvriers métallurgistes, les mineurs sont à l’arrière. Bien payés, à l’abri, ils attendant, sans hâte, la fin des hostilités. Où est la justice ? Nos permissions sont supprimées. Une vague de dévergondage déferle dans le pays où l’on se moque de nous. On essaie de nous cacher la vérité. Mais, par des sources sûres et détournées, d’autres nous renseignent utilement. Et puis, cette terre de France que vous défendez depuis tant de mois, tant d’années, combien d’entre vous en possèdent-ils en propre un mètre carré ? Pour qui nous battons-nous enfin ? Pour des généraux auxquels il faut des victoires et de la gloire. La fin de la guerre, la verra-t-on un jour ? Plus sûrement, nous resterons à pourrir dans les barbelés… »

Les esprits se montent sourdement. Des yeux brillent dans les faces bronzées, mal rasées. Les hommes se lèvent, - tant pis pour le repos, - dans un bruit de baïonnettes, de bidons, forment des groupes qui pérorent toujours à voix basse :   « Ceux qui dirigent la guerre ne savent pas la faire. Ils nous promettaient la percée. Ils nous ont trahis… Nous ne voulons plus être des bêtes errantes, destinées à l’abattoir. Nous en avons assez de nous battre pour n’arriver à rien. On en a marre !.. » 

Les officiers s’approchent. A la compagnie de mitrailleuses du 1er bataillon, le capitaine Rocafort, que le sergent Delaunay a prévenu, fait rassembler ses sections dans un coin du bois. Le capitaine Bouhier groupe la 1re compagnie à l’écart. Les hommes obéissent sans un murmure. Le lieutenant-colonel Maillard, qui commande le 77e, interroge le commandant Béziers la Fosse. « Je suis certain, répond ce dernier, que mon bataillon ne se mutinera pas. Et même, mon colonel, je vous fais le pari, malgré la chaleur, d’ordonner le rassemblement de tout le régiment au sommet de cette colline qui domine l’Aisne. Je l’y mènerai. Il ne manquera personne. » Le commandant de Montluc, de son côté, est « sûr » du 3e bataillon qu’il tient merveilleusement en main et n’est nullement inquiet. La contagion ne saurait se propager si vite et si complètement parmi ces unités d’élite.

D’ailleurs, voici le général Niessel, qui vient de haranguer le régiment voisin et s’approche du 77e . Les hommes dressent l’oreille. Niessel ! le commandant du 9e corps, le grand chef !  Il nous a passés en revue, questionnés au camp de Mailly, regardés défiler sur toutes les routes, interpellant, jovial, chaque section. Les hommes connaissent tellement sa voix qu’ils ne se méprennent pas quand, la nuit, le général les salue en passant dans la tranchée. Il n’est pas fier avec le soldat qui se sent à l’aise et compris. Puis, il paraît que c’est un as, connaissant son métier. Que va-t-il faire ? Qu’un seul fusil parte du groupe des exaltés, et c’est la catastrophe, la répression impitoyable !

Le général a laissé son auto à fanion près du bois et, la canne à la main, il s’avance tout seul ; sur son casque, les trois étoiles s’aperçoivent à peine ; sa vareuse kaki, sans insigne, le fait ressembler à un simple soldat. Il marche d’un pas vif, selon son habitude, le jarret tendu. Les orateurs essaient encore de placer quelques mots, de conseiller la désobéissance. Mais les hommes ne les écoutent plus. Ils quittent leur attitude agressive et regardent leur général. Celui-ci pose droit sur eux ses yeux bleus et clairs, semble leur communiquer sa flamme, sa volonté.

« Mes enfants, dit-il, j’ai voulu vous voir et vous parler avant l’attaque. » La voix s’élève ferme, vibrante, dans un grand silence. Elle s’adoucira, au fur et à mesure que le général parlera, et un bon sourire illuminera le visage énergique. « Vous allez monter en ligne ce soir. Vous descendrez dès que vous aurez conquis vos objectifs et vous partirez en permission. La préparation d’artillerie a été aussi bien faite que possible. Les photos d’avions montrent que les tranchées et les ouvrages de l’adversaire sont totalement bouleversés par notre bombardement. Je vous donne ma parole d’honneur qu’il n’y a plus de fils de fer. L’artillerie a fait son devoir. A vous de faire le vôtre pour l’honneur de votre magnifique régiment. Pendant l’attaque, je serai près de vous et je vous verrai. Allez me chercher des Boches ! J’ai confiance en vous. Vous allez rentrer maintenant dans vos compagnies, vous reposer, essayer de dormir jusqu’à ce soir pour posséder toutes vos forces cette nuit et demain. Je resterai ici jusqu’à votre départ. »

Tout malaise est dissipé. « Il a du culot, notre général, tout de même », constate l’agent de liaison Hervé, du 1er bataillon. Et ce culot lui sert. La crânerie à la guerre, c’est d’un vrai chef. – « En somme, dit un autre poilu, Niessel a raison de nous faire confiance. Si nous écoutons pérorer, nous savons bien quand même où se trouve le devoir, le dur devoir auquel nul ne peut échapper… »

 

Pages 444 – 445 :

Le mouvement splendide a enthousiasmé le général Niessel qui put suivre la manœuvre du haut de son observatoire du Faité (1)…

 

  1. L’observatoire du Faité était situé sur une crête, en avant de la ferme du même nom, à la lisière d’un petit bois. Le général Niessel avait fait installer, dans les arbres, un perchoir d’où l’on dominait tout le champ de bataille.  
Partager cet article
Repost0
10 juillet 2018 2 10 /07 /juillet /2018 06:01

(Librairie Plon, 1980)

 

Inutile de présenter Charles de Gaulle. Notre propos étant l’histoire de Roucy, nous vous présentons ci-dessous quelques extraits de ses Lettres, Notes et Carnets écrits lors de son séjour dans le secteur Ventelay – Roucy – La Ville-aux-Bois en 1915.

Lorsque le 3 août 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la France, le lieutenant de Gaulle sert au 33e régiment d’infanterie. Le 15 août il est blessé devant le pont de Dinant, en Belgique. Il retrouve son régiment en octobre. En janvier 1915, il sera nommé capitaine.

Page 112.

« 18 octobre (1914).

Départ 7 heures du matin. Arrivée à Ventelay, quartier général du C. d’A. (Corps d’Armée). Déjeuner, puis auto.

Le soir, en route pour Chaudardes où est la division. Vu le général Brulard, très aimable.

Dîner à Chaudardes. On boit du vin nouveau apporté par de Saxcé.

A 11 heures passe le train réglementaire. On monte dedans. En route vu les fusées lumineuses des Allemands.

On s’arrête à Pontavert. Vu le chef de musique Beaumont. De là, colonel à l’angle S.O. du bois de Ville-sous-Bois. Il nous reçoit au champagne et m’annonce la 7e compagnie. Couché chez le commandant Batbedat.

 

19 octobre.

Réveil au canon. Puis tous aux tranchées pour voir les camarades.

A certains endroits à 50 mètres de l’ennemi qui tient toujours le village de La Ville-aux-Bois et les environs.

Déjeuner avec le colonel.

Le soir notre artillerie tire sur les maisons à 50 mètres de notre ligne. Entendu hurler les porcs saignés dans leurs trous…. »

« 13 juin (1915).

Fait route avec 2 sous-lieutenants du 84e.

Arrivés à Jonchery vers 6 heures du matin.

Au Q.G. de l’armée, on nous donne une auto.

Arrivée à Roucy vers 8 heures. Puis à pied jusqu’au Bois Carré. Le colonel est enchanté de me revoir. Déjeuné avec lui. J’ai la 10e compagnie. Passé l’après-midi au Bois Carré.

 

14 juin.

Matinée employée à voir le secteur avec Rives. Dans l’après-midi à ma compagnie qui est au repos depuis ce matin dans le Bois de Pontavert. »

« 21 juin.

Eté faire tirer la compagnie à Ventelay (Aisne). Partis à 2 h 30. Mais il faut être à Roucy de bonne heure car l’ennemi voit très bien. Nous arrivons à Roucy à 4 heures, il fait déjà grand jour. Puis il nous faut monter la côte de Ventelay qui est très vue aussi. Nous la dépassons pourtant sans recevoir un obus. Après le tir je donne repos car on ne doit pas repasser la côte de Ventelay avant la nuit.

Retour à 23 heures.

 

22 juin.

Départ à 2 heures du matin pour la première ligne. Je relève la 2e. Sortons à droite (sud-est) de la route Pontavert-Ville-aux-Bois jusqu’à la clairière du Bois franco-allemand. J’ai nos 4 sections en ligne. Une pourtant fait face au sud-est en flanquant soi-disant la clairière. En réalité elle ne flanque rien du tout étant beaucoup trop enfoncée dans le bois et ne voyant rien. »

« 26 juin.

Je veux pousser ma 4e section à la lisière sud-est du bois des Buttes pour qu’elle voie dans la clairière. Je prépare la chose pour la nuit, donne mes ordres et en rend compte au colonel. Plan : au dernier moment il me fait dire d’attendre.

 

11 juillet 1915.

Je reprends mon carnet interrompu longtemps puisque toujours rien de saillant ne se passe.

J’ai tout de même fini par passer des ouvrages à la limite du bois des Buttes. Compliments du patron, de Spitz, etc. Ce sont les « Ouvrages de Gaulle ».

Puis été au Lavoir, puis à la Sablière où reçu à déjeuner le colonel et sa troupe. J’ai un harmonium et une mandoline.

 

17 juillet 1915.

Relevés par le 73e.

J’ai eu 2 tués et 2 sergents blessés.

Je vais à Trigny (Marne). Le bataillon à Prouilly. Le colonel et le 1er bataillon à Priez. C’est moi qui ai amené le bataillon. »

Page 230 :

« Mouvement de la compagnie le 16 novembre).

I – Le 3e bataillon gagnera demain dans la soirée les abris du Bois-Marteau et du Bois-Clausade où il doit demeurer jusqu’au 19 au soir en réserve du 8e régiment. Itinéraire : Pévy – V. Varennes – Guyencourt – Rouy (Roucy) – Pontavert.

II – La 10e compagnie sera rassemblée à 16 h 45 en colonne par quatre face à l’est, la tête à hauteur de l’église. Ordre de marche : 4e 1re, 2e, 3e sections.

On ne laisse absolument rien dans las baraquements.

III – La soupe sera mangée à 15 h 45.

IV – La cuisine roulante suit le bataillon avec celles des autres compagnies et à leur tête. Tous les cuisiniers marchent dans le rang. Ne marchent avec la cuisine que le sergent Comble et le conducteur.

V – Au rassemblement de départ, le sergent-major distribuera à chaque homme un casse-croûte destiné à être mangé à l’arrivée.

VI – Les chefs de section désigneront chacun 1 homme fatigué pour garder les baraquements. Les 4 hommes désignés pour la compagnie seront pris en substitution par la 5e compagnie et rejoindront la 10e à son cantonnement de Ventelay le 20 novembre.

VII – La marche à exécuter est une marche de nuit. Le capitaine sait que la 10e compagnie s’entend à donner l’exemple d’un silence absolu et d’un ordre rigoureux. »

Pages 233 – 234 :

« CONSIGNES

19 novembre.

La 10e compagnie quitte ce soir ses abris du bois Marteau et va au cantonnement de repos à Ventelay.

Elle est relevée par une compagnie du 86e régiment territorial qui arrive vers 18 heures, puis elle gagne le cantonnement isolément.

En conséquence :

I – A partir de 17 heures, les sacs seront faits et les hommes équipés dans les abris.

Dès l’ordre de rassemblement, la compagnie se rassemblera en colonnes par quatre entre bois Marteau et bois Clausade, et dans la direction de la corne sud-est du bois Clausade.

Ordre de marche : 1re, 2e, 3e, 4e sections.

II – La soupe sera mangée à 16 heures. Un casse-croûte sera distribué aux hommes au moment du rassemblement. Il devra être mangé à l’arrivée au cantonnement. Le sergent Comble prendra les dispositions voulues pour distribuer du café à l’arrivée.

III – Ne marchent avec la cuisine roulante que le sergent Comble et le cuisinier.

IV – Le capitaine sait que sa compagnie marchera parfaitement en ordre.

 

20 novembre.

Le séjour de la compagnie à Ventelay doit être employé par tout le monde pour remettre en bon état l’armement, l’équipement et l’habillement.

Mais avant tout, il est nécessaire que le cantonnement soit parfaitement propre.

En conséquence :

I – Le capitaine passera aujourd’hui à 15 heures la revue du cantonnement : locaux parfaitement en ordre, armes au râtelier, équipement pendus, effets régulièrement disposés.

La symétrie dans la disposition de toute chose est le seul procédé pour se rendre compte rapidement de l’ordre existant et par suite pour l’imposer le cas échéant et l’accroître. Dans chaque local, plusieurs récipients pleins d’eau doivent se trouver en permanence. Enfin, il ne faut pas que pour entrer ou sortir les hommes soient obligés de se livrer à des escalades, par conséquent améliorer les accès et construire des rampes le long des échelles, boucher les trous des planches, etc.

II- Aussitôt après, revue des effets. Les sections seront vues chacune devant son cantonnement. Tenue : veste et calot, capote sur le bras. Les hommes qui ont reçu des effets neufs seront placés à la gauche de chaque section.

III – Ici comme partout, il faut que la 10e compagnie soit un modèle. On y parviendra comme toujours par l’idée précise de ce qu’il faut faire, des ordres nettement donnés, une exécution rapide et de bon cœur, et un contrôle rigoureux des résultats. »

Pages 242 – 243 :

« 28 novembre.

I – La  journée d’aujourd’hui doit être consacrée à préparer la séance récréative donnée demain par la 10e compagnie.

En conséquence :

II -  M. le sous-lieutenant Lejeune est spécialement chargé de faire répéter les chanteurs et danseurs dans la salle. Il établira l’ordre dans lequel ils auront à paraître.

III – M. le sous-lieutenant Averlant est spécialement chargé des dispositions matérielles dans la salle. L’adjudant Hideux lui est adjoint à cet effet. Il aura à s’occuper des sièges pour le plus de monde possible et les fera disposer dès aujourd’hui ; de l’éclairage de la scène et de la salle (lampes et lanternes) ; du chauffage : braseros ou poêles, et combustible à y mettre ; de l’arrangement de la scène, de la façon d’ouvrir et de fermer les fenêtres, etc.

IV – Il faut que tout le monde ait à cœur de faire réussir cette séance. Sa raison d’être est de distraire les hommes et d’accroître par là leur moral. Rien n’est donc plus directement utile au but que tout chef doit se proposer à la guerre.

 

I – Demain matin à 7 h 50 a lieu, sur la place de la Mairie de Ventelay, une parade de dégradation. Les hommes de la 10e compagnie doivent y assister.

II – En conséquence :

Les hommes de la 10e qui ne sont pas de service et qui ne prennent à aucun titre part à la séance récréative seront rassemblés à 7 h 40 par le sergent Danel.

Tenue : capote et calot.

Le sergent Danel les conduira aussitôt place de la Mairie et les formera en ligne sur 2 rangs sur la face est de la place. Ils assisteront à la parade et rentreront aussitôt après.

III – L’adjudant Hideux est désigné pour procéder à la dégradation du condamné. Il ira à 7 h 30 prendre les ordres du Lieutenant Fontaine, commandant la 12e compagnie. »

Pages 245 – 246 :

«  CONSIGNES

30 novembre.

I – Le 3e bataillon quitte ce soir son cantonnement de Roucy et regagne Ventelay où il doit reprendre exactement son ancien cantonnement.

Point initial : la sortie de Roucy vers Ventelay.

Ordre de marche : 12e, 10e, 11e. La tête de la 12e doit passer au point initial à 17 heures.

II – En conséquence :

Rassemblement de la compagnie terminé à 16 h 45 en colonne par quatre sur la route devant le cantonnement de la compagnie.

Ordre de marche : 3e, 4e, 1re, 2e sections.

III  - Comme hier, le sergent Comble seul et 1 cuisinier marchent avec la cuisine roulante. Soupe à 16 heures.

IV – Le fourrier partira d’avance avec un homme. Il se trouvera à 16 heures au logement du commandant.

V – La compagnie doit laisser un cantonnement parfaitement propre. Le capitaine en passera la revue à 15 heures.

Exercice de cadres à 15 h 15 par le capitaine. »

En février 1916, le capitaine de Gaulle quittera ce secteur pour celui de Verdun. Il sera blessé  et fait prisonnier, près de Douaumont, le 2 mars 1916.

Partager cet article
Repost0
9 juillet 2018 1 09 /07 /juillet /2018 14:48

(Editions du Cerf-volant, Paris, sans date.)

 

Recueil de poèmes, 5e volume de La légende de la Grande Guerre.

Dieudonné Grancier était affecté au 8e Régiment d’Infanterie depuis le 2 août 1914.

Ironie du sort, les deux poèmes ci-dessous ont été écrits à Roucy, à l’endroit même où en 1916 et 1917, six soldats avaient été, à l'aube, « fusillés pour l’exemple ».

Pages 38 – 39 :

AUBE DE PRINTEMPS

 

Cette aube de printemps,

Si douce et langoureuse,

En ces jours attristants

Apparaît douloureuse.

 

Tout invite au bonheur

Dans cette tiédeur tendre,

Cependant du malheur

Chacun doit se défendre.

 

La nature renaît

Et l’on se sent revivre

Lorsque l’homme, au méfait,

Sans obstacle se livre.

 

Est-ce dérision ?

Il semble qu’à la vie

Notre aberration

Attente, et la défie.

 

Pourtant, ne pas goûter

L’heure délicieuse

Ne ferait qu’ajouter

Ombre à la ténébreuse.

 

Oublions cet entour

De mort et de souffrance,

Rêvons à notre amour,

Reprenons assurance.

 

Cette aube de printemps,

Langoureuse et si douce,

En ces sombres instants,

Aucun ne la repousse.

 

ROUCY – La Mutte-des-Grillots, 28 mars 1918 »

Page 40 :

PAQUES FLEURIES

 

Comme vous êtes loin, belles Pâques en fleurs !

Las ! pour les retrouver, vos ondes parfumées,

Il nous faut remonter tout le cours des années

Perdues en des mois de peines et de pleurs !

 

C’étaient alors les temps où les plus grands malheurs

N’étaient que les chagrins des heures fortunées.

Nous n’étions dans les rangs de ces troupes armées

Où se répand le sang, trop souvent des meilleurs.

 

Sans savoir maintenant ce que le sort préjuge,

De ces lieux ravissants où nous avons refuge,

Nous assistons encore à l’un de leurs sursauts.

 

Pleins d’appréhension pour l’inique souffrance

Et l’incertain succès de ces nouveaux assauts,

Ne perdons pas l’appui d’une calme espérance.

 

La Mutte-des-Grillots, 31 mars 1918

Partager cet article
Repost0
9 juillet 2018 1 09 /07 /juillet /2018 06:25

Présentation par Roger GIRARD.

UMR 5609 du CNRS, Université Paul-Valéry, Montpellier III, 1997

 

Ladislas Granger, d’origine paysanne, est né le 28 janvier 1885 à Lancôme, près de Blois.

Il effectue son service militaire du 1er octobre 1906 au 30 septembre 1908, puis s’installe comme jardinier, dans l’Eure, où il se marie. Le 18 avril 1914 naît son premier et seul enfant.

Le 4 août 1914, à l’âge de 29 ans, Ladislas Granger est mobilisé au 313e R.I. à Blois ; le 9 il est sur le front. En décembre 1917 il est muté au 4e Mixte de zouaves et de tirailleurs.

Après deux ans en Argonne, d’octobre à décembre 1916 à Verdun, il est présent au Chemin des Dames lors de l’offensive d’avril 1917.

Il avait terminé son service militaire comme caporal, en mars 1915 il est nommé sergent.

Il reçoit la croix de guerre le 23 novembre 1917.

Blessé et gazé en juin 1918, il est encore en convalescence lors de l’armistice.

Démobilisé le 20 mars 1919, il retourne à la terre, métayer, jardinier puis régisseur du château de Fonthaute, en Dordogne. Il meurt en 1972.

Pendant toute la durée de la guerre il a tenu au jour le jour des carnets, dont malheureusement plusieurs non pas été retrouvés, qui représentent un exceptionnel document sur la guerre au quotidien.

Retrouvons-le, sur le Chemin des Dames et à Roucy, après le début de l’offensive Nivelle :

Page 163 :

« 12 (mai 1917) :

Enfin on parle de la relève, il n’est pas trop tôt ; la nuit s’est passée sans incidents, maintenant le soleil est chaud, c’est du beau temps pour la saison. Il y a de nombreux duels d’avions, qui circulent au dessus de nous comme des essaims d’abeilles. Les Boches viennent nous voir de temps en temps et poussent même la complaisance jusqu’à nous mitrailler de là-haut. Nous montons les sacs, ranger les outils, car après avoir passer les consignes à nos successeurs, nous mettrons les bouts en vitesse, et voyagerons une partie de la nuit.

13. Après avoir attendu avec une grande impatience une partie de la nuit, nous sommes enfin relevés et venons jusqu’à Roucy où nous passons 24 heures, nous sommes exténués de fatigues et nous dormons une partie du temps après avoir contemplé l’œuvre de la nature, du printemps qui nous réjouit, nous égaye de sa verdure et de ses fleurs printanières ; quel dommage de faire la guerre, nous serions si heureux près des nôtres ; nous nous restaurons extraordinaire, soupe, café, pinard, ça semble bon.

14. Départ de Roucy dans la nuit ; nous mettons les sacs dans les camions, heureusement car beaucoup seraient restés en route, il fait une chaleur orageuse, la marche est fatiguante. Arrivée à Brouillet à 14 heures, avec quelle joie nous déposons tout le harnachement, et se mettre à son aise, puis nous allons au bord de la rivière ; quelle toilette complète et bienfaisante ; et aussi quelle bonne nuit sur de la bonne paille. »

 

…/…

« 25. Rien de nouveau ; revue passée par le général, décoration du drapeau du Régt (Croix de guerre, citation à la Division ; le soir douches ; chaleur tropicale… »

« 26. À la suite de la revue repos pour le Régt et toutes les punitions sont levées. C’est toujours la vie de cantonnement de repos, bonne table, forts coups de pinard, c’est la liberté illusoire et bienfaisante ; lecture, correspondance, manille, excursions aux environs, dans les bois et les près à la douce fraîcheur du soir.

27. Grasse matinée, déjeuner, toilette, messe. C’est la bonne vie ici, qui à notre regret touche à sa fin ; bonne santé ; chaleur tropicale.

28. Le matin exercice de cadre pour le Régt ; puis brusquement on nous apprend notre départ pour demain matin ; tout le reste de la journée, préparatifs de départ, distributions de vivres et cartouches, revues ; il faut se coucher de bonne heure car demain matin réveil à 3 heures. Manifestations par quelques Poilus agissant sous l’influence du pinard ; nuit mouvementée, tout se calme avec un maigre résultat pour les auteurs de ce désordre ; ils s’en repentiront à bref délai.*

* C’est la participation du 313e RI aux mutineries de 1917 à Brouillet, ainsi que celle de toute la 9e DI (le reste est à Arcis-le-Ponsard et à Vandeuil)…/… Le schéma est classique : lassitude de la guerre, lourdes pertes le 16 avril, annonce de la remontée en ligne avant toute permission qui provoque les troubles le jour même…/…

Dans ces unités, comme dans bien d’autres le colonel et les officiers ont réussi à éviter une répression trop sévère, faisant ainsi preuve de courage car ils risquaient de se faire accuser de faiblesse.

C’est au 313e RI, où pourtant les incidents semblent avoir été plus limités et qui a été décoré 3 jours plus tôt après avoir durement combattu pendant près de 3 ans, que survint la peine la plus lourde ; une condamnation à mort exécutée…/… Le soldat Henri Valembras, de la classe 8, cultivateur, célibataire, va servir d’exemple. Il a frappé un capitaine à coups de pieds et de poings…/…

Le commandant de la 9e D.I., Gamelin, a montré de la fermeté. Il va donc pouvoir poursuivre sa brillante carrière. Dommage pour Valembras… et pour la France…/…

Guy Pedroncini, lié par ses sources judiciaires, ne cite pas le nom d’Henri Valembras. L’ayant connu par d’autres sources, il m’a semblé qu’il n’y avait pas de raison de ne pas mentionner le nom d’un homme mort pour avoir dit tout haut en 1917 ce que tout le monde pense aujourd’hui : que 1914 a été pour la France et pour l’Europe une folie suicidaire…/…

L’essentiel est que des millions de bons soldats comme Granger, pratiquement tous les vrais combattants, aient en réalité pensé à peu près comme eux, même s’ils ont continué à remplir leur Devoir comme ils avaient toujours appris qu’il fallait le faire. »

 

…/…

29. Départ de Brouillet à 4 heures, arrivés à la ferme de l’Orme près de Montigny à 11 heures, nous avons eu la chance d’avoir un temps couvert et favorable pour la marche, nous sommes pourtant contents d’être arrivés et de rattraper le sommeil perdu la nuit dernière ; nous sommes dans des baraquements. Des mesures sont prises pour que le désordre d’hier soir ne se renouvelle pas, et les auteurs sont traduits immédiatement devant le Conseil de Guerre ; tout est calme, service de quart de nuit.   

13 (juin 1917).

 Le secteur se maintient assez calme ; de temps en temps des raffales d’obus, gare à la surprise ? Les avions sont clairsemés aussi ; nous sommes tranquilles dans nos sapes et ravitaillés suffisamment, notre ordinaire s’est amélioré. La lumière fait toujours défaut aussi nous sommes souvent dans le couloir ou dans le boyau à l’entrée, prêts à piquer une tête au premier obus. Beau temps ; corvée de nuit comme d’ordinaire sans incidents ; en rentrant c’est le casse-croûte puis on se couche jusqu’à la soupe de 10 heures. **

 

** Ce jour-là à 4h1/2 du matin, au village de Roucy, à 5 km en arrière, le soldat Henri Valembras est fusillé ».

 

Partager cet article
Repost0
8 juillet 2018 7 08 /07 /juillet /2018 16:15

(Editions Eugène Figuière. 1930.

 

Raymond Paul Ulrich Pelloutier est né à Paris le 25 juillet 1897 et mort à Nantes le 28 novembre 1956. Son père, Maurice Saint-Ange Léonce Pelloutier, employé à la préfecture de la Seine, est aussi poète, membre de la Sté Archéologique et Historique de Nantes et journaliste ; avec son frère Maurice, l’un des précurseurs du syndicalisme révolutionnaire, il a fondé la revue L’Ouvrier des deux mondes en 1897.  

Raymond Pelloutier s’engage en juillet 1916, certainement au 131e R.I. d’Orléans. A la fin de l’année, il rejoint le front en Argonne, puis son régiment se déplace dans le secteur de Berry-au-Bac. C’est là qu’il connaît le « baptême du feu ».

Lors de l’offensive du 16 avril 1917, il est sur le front de l’Aisne, dans le secteur du Bois des Buttes, Craonne, Cote 108, sans préciser l’endroit exact.

De son passage à Roucy, lors d’un bombardement de l’artillerie française, il garde une impression inhabituelle : « Ce spectacle est si beau que nous en oublions la triste cause » 

En mars 1918, il est à Guivry près de Noyon, quand il est fait prisonnier lors d’une offensive allemande. Il terminera la guerre au camp de Giessen (Hesse) en Allemagne.

Pages 9 – 10 :

« Nous faisons partie d’un contingent de volontaires, et alors que, selon notre espoir, nous aurions dû parvenir au front dans le courant du mois de juillet 1916, nous n’y fûmes dirigés que dans les derniers jours d’octobre. Ainsi, nous aurons mis plus de trois mois pour couvrir la distance qui sépare notre centre d’entraînement de la ligne du feu, dont nous ne sommes plus guère éloignés maintenant que de deux cents kilomètres environ. Et l’on criera après les lenteurs de la Justice ! Je suis bien persuadé que dame Thémis est encore plus expéditive que Bellone. Toutes ces promenades militaires ne répondent point aux promesses que l’on nous avait faites. Nous avons demandé à partir pour la guerre et l’on nous trimballe de cantonnement en cantonnement, et cela à notre grand désappointement, car nous avons le crâne plus bourré de glorieuses chimères et de généreuses illusions que notre ventre n’est rempli de bœuf et de haricots.. »

Pages 91 – 92 :

« Notre bataillon se dirige vers Ventelay, petit village situé non loin du front. Nous sommes tous heureux d’être de ceux qui sont sortis indemnes d’un « coup » si dur. Certains, parmi les plus anciens, supputent les chances qu’ils ont de s’en tirer désormais. Ils espèrent, en effet, que, pendant que nous serons à l’arrière, quelque évènement favorable surviendra, qui finira la guerre. Il y a si longtemps qu’elle dure ! Peut-être encore, auront-ils la bonne fortune d’être appelés à quelque poste, qui les mettra définitivement à l’abri du danger jusqu’à la cessation des hostilités. C’est le rêve des vétérans à qui la lutte commence à peser et qui redoutent, quoique ayant échappé jusqu’ici à tant de périls, de succomber à leur tour. Beaucoup se réjouissent à la pensée de revoir leurs femmes et leurs enfants. Mais le Destin, ce grand maître, a ses caprices, et sa main s’appesantit le plus souvent sur ceux-là mêmes qui avaient mis en lui tout leur espoir…

…/…

Un projectile est venu tomber au milieu d’un groupe composé d’une vingtaine de poilus de la deuxième section. Ce qui arrive alors est effroyable : presque tous sont tués ou grièvement blessés, trois ou quatre seulement en sont quittes pour une forte commotion. Fatum !  Les victimes, pour la plupart, sont ceux précisément qui, peu d’instants auparavant, se félicitaient d’avoir jusqu’ici trompé la mort. »

Pages 110 – 111 :

« … nous débarquons à Paris. Quelle singulière sensation nous produit la Capitale, après les longs mois que nous venons de passer dans les tranchées ! Nous nous y sentons dépaysés comme le seraient des sauvages arrivant tout droit des pampas. Nous déambulons sous les regards compatissants, mais plus souvent ironiques, que nous attirent nos vêtements, tant de fois souillés par la boue et délavés par la pluie qu’on n’en peut plus définir la couleur, nos gros godillots et notre air désorienté. »

Page 113 :

« Nos quelques jours de détente loin de cet enfer du front, sont empoisonnés par le spectacle qu’il nous est donné de voir ici. Une légitime indignation nous soulève devant ce scandaleux étalage d’un luxe indécent et de cette ruée vers les plaisirs malsains. De plus, il nous est facile de constater que l’enthousiasme dont bénéficiaient, au début du Grand Drame, ceux qui en sont les acteurs, a fait place à une indifférence qui frise le dédain. Les enrichis du jour, embusqués pour un grand nombre, oublient ou veulent oublier qu’ils doivent leur fortune au sang versé par leurs frères, et c’est presque de l’insolence que nous lisons dans leurs regards. »

Pages 115 - 116:

« Le train qui m’éloigne de la Capitale marche, me semble-t-il, avec une rapidité vertigineuse. Déjà près de Fismes ? C’est incroyable. Le trajet m’a paru si long à l’aller !... Les souvenirs heureux que j’emporte de ma trop courte permission m’assaillent sans répit : je me compare à un individu qui passerait sans transition de l’opulence à la misère, et je crains que la réadaptation ne me soit pénible. Cette fois, j’ai le cafard dans toute la force du terme. Je crois que mon état général est en partie responsable de cet abattement dont je ne suis pas coutumier, car je me sens bien moins vigoureux qu’à l’époque de mon incorporation. Bah ! tous ces papillons noirs s’envoleront vite quand je me retrouverai à l’avant. Quelle ambiance y règne-t-il donc, qui me rende plus insouciant qu’à l’arrière même ? Ai-je une faculté spéciale d’adaptation ? Non, car bon nombre de mes camarades jouissent du même privilège qui est pour nous comme une grâce d’état… »

Pages 118 - 119 :

« En arrivant sur la hauteur de Roucy, une vision grandiose s’offre à nos regards. Le bombardement que vient de déclencher notre artillerie illumine le ciel, tandis que dans le lointain des fusées blanches, vertes et rouges, s’élèvent de toutes parts, donnant l’impression de quelque gigantesque feu d’artifice. Ce spectacle est si beau que nous en oublions la triste cause. Mais nous reprenons vite pied dans la réalité et constatons avec mélancolie que notre secteur n’a pas l’air bien tranquille. Pour un retour de permission ce n’est pas très réussi. Heureusement que toute une nuit nous sépare du moment où il faudra rallier notre compagnie : c’est toujours quelques heures de gagnées. Que ne suis-je encore à attendre le train pour Paris ! »

Pages 130 - 131 :

« Nous venons de regagner notre secteur en face de Juvencourt.

Voilà plus de trois mois que nous l’occupons avec des intervalles de repos. C’est maintenant un coin tranquille, tous les efforts des Allemands portant sur le plateau de Craonne, qui subit de si effroyables bombardements, que l’on croirait assister à l’éruption d’un volcan.

Autour de moi, sans cesse de nouveaux visages, ceux-ci remplaçant ceux-là. Seules, quelques têtes me rappellent mon arrivée au front : celles de poilus partis au début de la guerre, de ceux qui ont tant de fois affronté le trépas qu’ils ont dû finir par le décourager. Mais pour quelques épargnés, combien de victimes ! Que de liens de sympathie ou d’amitié tranchés par le Destin ! Chovet est mort, Rousseau aussi, et que d’autres ! Ils dorment leur dernier sommeil au sein  de cette terre désolée qu’ils ont arrosée de leur sang, et qu’ils engraisseront de leur dépouille ; infimes parcelles du Grand Tout, petites flammes vacillantes qu’un souffle de la Mort a éteintes, holocaustes inutiles de cet inutile massacre que fut la Grande Offensive. »

Partager cet article
Repost0
8 juillet 2018 7 08 /07 /juillet /2018 14:48

Maurice d’Hartoy éditeur à Paris, 1936.

Préface du Commandant MERMOD.

 

Jules Ninet, simple soldat au 89e R.I. décrit sa vie au front en 1917 et 1918, et comme l’écrit le Commandant Mermod dans sa préface, « la camaraderie intense qui soutenait les uns et les autres, au milieu des plus durs combats, comme au milieu des pires souffrances endurées sous la pluie, dans la boue, dans la neige, dans les sapes humides, dans les trous d’obus, les corps anéantis par la faim et le froid, les âmes engourdies par l’excès même de ces souffrances. »

Avril 1917, Jules Ninet se dirige vers Roucy.

Pages 34 – 35 :

« Le plateau est un volcan

La tempête

Siffle et hurle sur nos têtes…

L’heure H… Quand ?

(Poème inachevé)

Bois de Beaumaret. Avril 1917. »

 

« Après quinze jours de vie relativement calme à Beaumaret*, qui nous permit de nous familiariser avec les obus et les corvées de nuit, sans même voir les Boches, la relève nous ramène à l’arrière, un soir de neige.

La compagnie s’en va, en longues files noires, par des pistes impossibles ; puis on attrape la route de Roucy.

- Colonne par quatre !

La neige nous recouvre, nous aveugle. Quel temps de chien ! On jure, on peste, on râle, on vide toute la rancœur de son âme, mais on est rudement joyeux quand même d’aller à l’arrière, nous surtout, les nouveaux arrivés…

A l’arrière, il y a des distractions, des civils, parfois de jolies filles. A l’arrière, on mange à sa faim, on boit du vin qu’on achète, et puis, on dort sans soucis, dans du foin ou de la paille bien chaude…

A l’arrière, c’est tout cela, toutes ces bonnes choses que nous, les jeunes, n’avons pas encore eu le temps d’oublier.

- Viv’ment qu’on arrive ! gémissent les plus las.

Quelqu’un commence un refrain entraînant qui nous stimule :

            « Elle a cassé son parapluie,

Tant pis pour elle.

Elle a cassé son parapluie,

Tant pis pour lui !

Elle a cassé… »

On reprend tous en chœur. On chante à pleine voix pour oublier la fatigue, le poids du sac, la longueur de la route…

Ventelay !... Une heure du matin… Il neige toujours. La compagnie doit loger à la ferme du Faité, une grande bâtisse au sommet du coteau qui domine le village. Mais hélas ! le cantonnement n’est pas prêt, et il faut attendre dans la cour.

C’est dur d’attendre par un temps pareil ! Depuis dix minutes déjà, nous tapons des pieds et soufflons sur nos doigts transis. Des murmures d’impatience commencent à s’élever. Soudain, un cri retentit, qui passe de bouche en bouche, calmant les colères naissantes :

  • La roulante ! V’là la roulante ! Préparez vos gamelles !

Elle arrive en effet, non sans peine, tanguant, fumant et semant sur son passage une bonne odeur de soupe à l’oignon. »     

Pages 39 – 40 :

« Un matin, je vois des camarades courir. Je les suis sans savoir. Ce sont des autos blindées qui viennent de s’arrêter sur la route de Ventelay. Quelles autos ! Des monstres d’acier, percés de meurtrières où passent des mitrailleuses et même des canons : des tanks !

Sur leurs carcasses noires, on lit des inscriptions terribles : « La main qui étreint », « Trompe la mort », etc., accompagnées de dessins bizarres, représentant des têtes de morts, des tibias en croix, des as de pique… Les as… ce sont ceux qui les montent, ces chars d’assaut.

Ils nous regardent, dans leur veste de cuir, avec des airs graves et crâneurs à la fois. Ils répondent complaisamment à nos questions, nous donnent des détails sur la marche des tanks qui avancent à l’aide de chenilles, passent n’importe où, traversent les fossés, écrasent tout ce qui résiste devant eux. Chaque tank est monté par un équipage de six hommes et comporte un canon court de 75 à l’avant et deux mitrailleuses en coupoles latérales, une vraie forteresse roulante, quoi !

Nous ouvrons des yeux pleins d’admiration.

Les hommes aux vestes de cuir ne sont pas plus fiers pour cela. Ils parlent simplement, sans forfanterie, mais avec une foi qui nous gagne.

Peut-on résister à de tels engins ? Non, vraiment c’est impossible. Alors, la victoire est certaine ! Je m’enflamme. Je souhaite l’attaque, le grand jour de l’attaque. »

Page 49 : 

« - Rassemblement pour la distribution des armes !

Tout le monde se presse autour des couteaux de tranchée, des cisailles, des hachettes… de tous ces instruments bizarres qui vont rudement nous embarrasser.

- Comme si j’avais b’soin d’ça, s’exclame un colosse barbu, en brandissant un énorme engin à couper le fer, p’isque les obus vont tout démolir, tout arracher, qu’y aura p’us d’barbelés devant nous, qu’on aura p’us qu’à avancer, l’arme à la bretelle…

- Garde toujours, ça te servira à ouvrir les boîtes de singe.

Piller et Breteuil ont également une cisaille, Rondat, une hachette, tandis que Monsinjau et moi, sommes gratifiés d’un coutelas à poignée de bois et large lame courte, pareil à ceux dont les bouchers se servent pour ouvrir le ventre des bêtes.

Au fond, en réfléchissant, je préfère cette arme, non pour l’usage qui lui est destiné, car j’espère bien que les boches s’enfuiront devant nous et que je ne m’en servirai pas, mais parce qu’elle n’est ni lourde ni encombrante. » 

Pages 53 à 55 :

« Depuis hier, nous sommes de nouveau à Beaumaret*. Cette fois, le bois est rempli d’artillerie. Chaque taillis abrite une pièce ; les obus s’amoncellent dans tous les coins ; de nombreuses batteries tirent déjà, et sur nos têtes c’est un vent continuel qui souffle la mort.

Nous regardons, en spectateurs terriblement intéressés, et les heures d’inaction passent rapidement.

Quatre heures de l’après-midi. Monsinjau s’approche de moi en tirant la langue.

- J’ai la pépie ! Si on allait à la coop des artilleurs ? Paraît qu’elle n’est pas loin ; on y trouverait peut-être du pinard ?

C’est une idée. Aussitôt dit, j’empoigne mon bidon et emboîte le pas derrière mon ami, suivi de Piller et d’un autre camarade du début, un nommé Mésanchois, natif de Villefranche-sur-Saône. Mésanchois est un virtuose du violon.

Nous attrapons bientôt une longue allée bordée de croix. Des cocardes tricolores frissonnent à la brise. Nous lisons des noms au hasard, le cœur serré par l’immense tristesse qui se dégage de ce véritable chemin de cimetière, dénommé justement : « l’Allée des Tombes ».

Nous marchons silencieux, émus. Des poilus qui nous croisent nous conseillent de faire attention :

- Ça dégringole un peu partout, les p’tis gars !

Ils tendent le bras.

- Voyez, là-bas, à deux cents mètres à peine, y a pas dix minutes que deux permissionnaires viennent encore de se faire tuer.

Il n’en faut pas plus pour aviver notre curiosité et nous rendre imprudents. Nous sommes bientôt vers les deux corps étendus.

- Les pauvres types !

Je ne peux m’empêcher de pousser cette exclamation, devant le spectacle affreux qui s’offre à nous. Les deux cadavres sont littéralement déchiquetés, brûlés, brisés par l’explosion, si noirs, que tout d’abord, nous croyons que ce sont des nègres.

Le premier a le ventre arraché et ses entrailles s’étalent sur plusieurs mètres, tel un chapelet horrible. Leurs pieds déchaussés sont des moignons informes, leurs bras n’ont plus de mains. Une tête est sciée au ras du front et sa calotte est allée se coller contre un arbre proche, laissant pendre un paquet de cervelle écrasé comme un crachat immonde.

Nous regardons, muets d’horreur, ces deux êtres qui n’ont plus forme humaine.

Dire qu’ils vivaient comme nous, il y a quelques minutes à peine ! Ils allaient joyeux, la musette à l’épaule, chantant peut-être, tout entiers au bonheur de partir, confiants… Peut-on ne pas l’être et songer à mourir, lorsqu’on va au pays, revoir ceux qu’on aime ! »

Page 85 :

« Au loin, c’est un roulement sourd, grandissant, pareil à un crépitement d’eau bouillante, tant les obus tombent serrés.

Pas de doute, c’est bien l’attaque, le déchaînement final de l’artillerie, détruisant les dernières tranchées boches et protégeant les vagues d’assaut.

Des bruits plus sourds encore font trembler la terre. On croit entendre des sifflements…

- Quelle heure qu’il est ? demande quelqu’un.

- Un peu plus de six heures.

Les blessés s’éveillent les uns après les autres. On s’appelle, on se questionne.

- Ecoutez ! si ça bille fort.

- C’est l’attaque !

- L’offensive !

- On va enfoncer les Boches !

Un sergent du 31e fait la description technique des opérations.

- Ça, c’est le feu roulant. Les poilus sortent des boyaux avec les tanks. Les premières lignes sont déjà dépassées. Notre objectif à nous, c’est le bois des Buttes. Maintenant, on nettoie les boyaux et les sapes à coups de grenades… Les Boches se sauvent…

Page 87 :

« - Qu’est-ce qu’ils prennent, les boches ! Ils doivent être maintenant en pleine retraite, sur toute la ligne !

- On les a !

Vivent Nivelle et Mangin !

- Attendez les premiers blessés, conseillent les prudents. Ils nous diront exactement ce qui se passe. On se sait jamais… »

Pages 88- 89 :

«  Vers la fin de la matinée, les premiers blessés arrivent : des artilleurs et quelques fantassins. Ils sont fourbus et s’étendent à côté de leurs musettes.

On les interroge de tous côtés.

- Alors, ça marche l’attaque ?

Ils ne savent rien. Ils ont été touchés sitôt que les Boches ont déclenché leur tir de barrage ou en enjambant la tranchée. Tous cependant sont d’accord sur ce point : on avance, mais on a des pertes sérieuses.

A partir de ce moment, la foule des blessés grossit sans arrêt. Ils viennent par petits groupes, par compagnies entières, envahissent les abords de l’ambulance, crottés, courbés, minables, gémissants.

Certains sont couverts de sang, n’ayant sur leurs blessures que des mouchoirs et des chiffons. Ils montrent leurs plaies à nu, leurs brûlures, leurs chairs trouées, boursoufflées… des gueules effrayantes !

On amène sur des brancards des malheureux sans pieds, sans mains, qui hurlent comme des bêtes.

L’ambulance est bientôt pleine, archi-pleine, et il arrive toujours de nouvelles épaves, de nouveaux monstres sanglants… 

Quelle misère ! C’est ça, une attaque ? »

Page 90 :

« L’impression générale, à présent, c’est que l’attaque est loupée, que nos pertes sont énormes, que nos obus n’ont pas détruit les lignes ennemies, que les Boches nous arrêtent à coups de mitrailleuses et ne battent pas en retraite.

- Alors ! jette un blessé du poumon, qui salive rouge, on nous fait massacrer comme ça, pour rien, pour la peau ! C’est honteux ! »

Page 90 :

« De l’abri qui nous chauffe le dos, la voix joyeuse de Robert nous appelle :

- V’nez voir, les gars ! Le lapin va être cuit…

Nous dégringolons l’escalier abrupt, au risque de nous rompre les os. Une bonne odeur de civet nous emplit aussitôt les narines.

- Bon chien ! qu’il est beau ! Qu’ça sent bon !...

- J’vous crois, et il n’y manque rien, vous savez, dans la sauce, pas même du thym. C’est Pezon qu’en a déniché à Roucy. Qu’est-ce qu’on va s’mettre.

Nous félicitons Robet, notre chasseur et cuisinier.

…/…

Une rumeur s’élève : « Il est cuit ! » Robet attrape le plat.

- Tout l’monde à table ! les…

-  Tout l’monde dehors ! En tenue de départ ! hurle une voix dans l’escalier.

- Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?...

On se dresse d’un bond. Le plat bascule dans les mains de Robet, la sauce gicle.

- Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce qu’il y a ?

- Ya qu’les Boches s’débinent. Dans cinq minutes, on fout le camp derrière eux !

Les Boches se débinent ! Dans tout autre circonstance, cette nouvelle, même exagérée, nous eut comblés de joie, d’enthousiasme peut-être. Devant notre civet fumant (ventre affamé n’a pas d’oreilles), l’effet fut désastreux, terrible, navrant ; des yeux s’emplirent de larmes. 

…/…

Ce n’était pas la retraite, malheureusement. Les Boches avaient tout simplement abandonné leurs mauvaises positions de la Miette et effectué un recul purement stratégique. Mais cette avance, nullement glorieuse pour nos armes, nous fit perdre, en même temps que notre petite sape tiède et notre vie heureuse en deuxième ligne, le régal du festin. » 

 

* Bois de Beaumarais

Partager cet article
Repost0
8 juillet 2018 7 08 /07 /juillet /2018 10:59

(Imprimerie « Les éditions d’Alsace », Colmar, 1931.)

 

Extrait de la préface :

« Comme tous les aumôniers militaires et nos admirables prêtres-soldats, il fut l’ami des bons et mauvais jours, le soutien moral et le père des soldats, le confident de leurs pensées intimes. Sur leurs lèvres mourantes, il a recueilli leurs dernières volontés, les suprêmes aveux – et l’ultime battement de cœur, le dernier acte d’amour de milliers d’agonisants. »

Tous les chemins mènent à Rome, mais aussi à... Roucy :

Page 126 :

« On ne se mariait pas pendant la guerre, sinon avec la mort. Aussi le déficit des naissances nous fit perdre 1.200.000 existences humaines et le feu nous en coûta 1.350.000. J’ai fait des baptêmes et surtout des sépultures. J’ai administré à profusion les sacrements, célébré la messe devant de magnifiques assistances militaires. A l’arrière, les fidèles se mêlaient toujours à nos soldats, même les moins pratiquants, attirés et subjugués par la foi de l’Armée. Dans l’enceinte sacrée, la solennité de l’heure et des circonstances donnaient à leurs visages un cachet de gravité, à leurs âmes une ferveur trop tôt disparue avec le danger, et à tout cet ensemble recueilli une vraie physionomie de guerre. Le bruit du canon, les vives cicatrices de l’église, l’imminence de la mort, l’angoisse des mauvaises nouvelles nous faisaient ressembler aux premiers chrétiens réfugiés dans les catacombes, eux aussi enveloppés de souvenirs funéraires et en perpétuel danger de mort, pendant les persécutions. »

Pages 192 – 193 :

« Année 1917. L’Aisne. »

« Le 14 (janvier) après la messe, au déjeuner où je fus prié avec le colonel Hubert chez le colonel Partiot, fut scellé le pacte qui me liait pour un an au 33e. Ce régiment m’avait adopté. En retour je me donne à lui avec tout mon dévouement. Je me partagerai entre le 33e et le 73e. M. Even s’occupera avec zèle du 273e. » …

 

Page 197 :

« Le 7 février, départ pour Concevreux où se trouve le 2e bataillon du 33e. Retour du colonel et rencontre de l’abbé Even à Maizy. Tout le 1er corps se trouve entassé au bord de l’Aisne, dans quatre petits villages sans abris contre l’artillerie qui lui fera subir de lourdes pertes par d’incessants bombardements. A Beaurieux se trouve la 162e division, dont l’état-major est à Roucy. Les régiments tiennent le secteur de Craonne. La 162e a remplacé la 10e division dont l’aumônier volontaire, abbé Nouais loge au presbytère de Roucy. A Beaurieux je présente le P. Ducateau, des brancardiers divisionnaires, comme aumônier du 1er bataillon du 73e, logé en bas du village. »

Pages 197 – 198 :

« Le 14 février, visite au bois de Beaumarais, secteur du 327e. Le colonel de Morcourt reçoit avec beaucoup d’égards et d’affection son ancien aumônier. Celui-ci revoit avec une émotion qu’il peut à peine dissimuler, les camarades et amis du glorieux régiment d’Hébuterne, de Verdun et de la Somme…/… Le confortable P.C. du colonel, coquet et riant sous les caresses du soleil, nous accueille à midi. On circule librement et sans crainte sur les pistes en rondins de bois de Beaumarais, sous les taillis encore épais et les vastes clairières, dont les sous-bois se prêtent à la méditation des sages, à l’inspiration des poètes. Lieu enchanteur, paradis rêvé, cette forêt étendait sa grâce printanière et la luxuriante frondaison de ses arbres, des bords de l’Aisne aux contre-forts de Craonne, avant d’être massacrée par les obus et de mourir d’une lente agonie.» 

Page 201 :

« Secteur de Beaumarais. 12 Mars au 12 Avril.

Le 12 mars, les régiments de la 51e division relèvent ceux de la 162e dans le secteur de Beaumarais où ils doivent attaquer le 16 avril. Le soir même ils occupent les tranchées…/…

La division est à la gauche de la 5e armée Mazel, en liaison au sud  d’Hurtebise avec la 6e armée Mangin.

C’est la vie ordinaire des tranchées, calme, attentive avec les petits incidents journaliers qui en rompent la monotonie. »

Page 204 (Beaurieux, le 27 mars) :

« Nous traversons une semaine tragique et sanglante. On vit, on couche dans les caves, car la rue est inhospitalière. La mitraille s’abat sur les pauvres maisons sans défense. Tous les jours marqués de nouveaux  deuils voient de funèbres cérémonies…/… Je suis en permanence au cimetière pour y bénir les tombes que multiplie la mort, inlassable ouvrière. »

Pages 204 – 205

« Dès la fin de mars nos préparatifs ont éveillé l’attention de l’ennemi. De l’éperon de Craonne il domine toute la plaine : ses vues plongent jusqu’aux lointaines limites de l’horizon. Du merveilleux observatoire de Californie caché sous les pins et les bouleaux, il épie tous nos mouvements. En liaison étroite avec son aviation, il a remarqué par ses yeux, notre activité. Il déclanche le tir de l’artillerie qui bombarde sans arrêt les cantonnements de l’arrière bourrés de troupes (une division dans chaque village) à Beaurieux surtout, nos dépôts de munitions visibles de loin et faciles à repérer le long des routes, nos bivouacs, et les ponts de l’Aisne qu’il cherche à couper. »

Pages 205 – 206 (Le 2 avril) :

«  Dans le grand cimetière de Pontavert si souvent bouleversé par les obus qui s’acharnent même sur les morts, j’enterre cinq petits soldats du 33e et à Cuiry un sapeur du génie, compagnie 1/63, tombés hier sous le bombardement.

Tous ces deuils – funèbre préface du grand drame – encadrent le Vendredi-Saint, jour de désolation et de salut. Je célèbre la messe des Présanctifiés. Malgré la liturgie qui subit quelques accrocs pendant la guerre, mais se fit indulgente pour le grand bien spirituel des poilus, de nombreuses communions sont distribuées aux soldats qui, ce jour-là même, montent aux tranchées pour affronter la mort.

A la popote du colonel du 33e, un repas maigre nous a été préparé, le Vendredi-Saint. Une langouste venue vivante de chez Prunier par les soins de M. Fleury, grand maître du ravitaillement, est servie parmi les fleurs.

Le 6 avril 1917, les Etats-Unis déclarent la guerre à l’Allemagne. « La Fayette, nous voici ». Des cris de joie accueillent ce geste de la grande République-sœur traversant l’océan pour défendre le Droit !

Alleluia ! chantent toutes les cloches de France, pendant que sur la ligne de feu, leurs sœurs mutilées au bas des clochers éventrés ou rasés, sanglotent silencieuses sur les ruines. Alleluia ! chantent tous les cœurs français à la veille d’une offensive que tous espèrent victorieuse. Cette fois-ci c’est la rupture tant attendue ! C’est la guerre de manœuvre à la recherche de la décision suprême ! Enfin !! »

Pages 206 – 207 :

« Le 9 avril, relève générale de la 51e division qui cède son secteur aux troupes d’attaque…/.

.. Le 1er corps va jouer un rôle de premier plan dans l’offensive de l’Aisne.

Les soldats se recueillent, car l’heure est grave. On est au tournant de la guerre. »

Pages 214 à 216 :

«  En cette fameuse journée du 16 avril, pour la première fois, les chars d’assaut étaient employés et entrèrent en bataille. Au carrefour de la ferme du Choléra, près de Berry-au-Bac que domine la tragique colline de la côte 108, cent trente-deux chars étaient rassemblés pour faire la percée sur Juvincourt et Prouvais qui nous auraient ouvert, une fois enlevés, la plaine de Laon et de Rethel. Ils devaient forcer la troisième position ennemie. Ils formaient 2 groupements : celui du commandant Bossut et celui du commandant Chaubès. Malheureusement le terrain détrempé gêna beaucoup leur marche d’approche et leurs évolutions en face des tranchées allemandes. L’expérience devait être douloureuse, les premiers essais de l’arme, sanglants et coûteux.

Les chars du 1er groupe s’avançaient à découvert sur une longue file, par la route de Cuiry-les-Chaudardes en direction de Corbény-Juvincourt. Ils furent facilement repérés par les observatoires ennemis laissés intacts, qui réglèrent sur eux le tir de l’artillerie. Les obus enflammèrent les bidons d’essence dont les chars étaient surchargés à cause du long trajet à parcourir.  

Le commandant Bossut, créateur moral de l’arme, avait tenu à accompagner ses chars d’assaut dans leur première sortie à l’ennemi, pour leur ouvrir la voie. Il comprenait la tragique grandeur de sa mission, et sentait qu’il menait ses hommes au sacrifice.  

Ce fut pour lui et ses chars la voie royale du sacrifice, le baptême, la journée du martyre de l’artillerie d’assaut !

Il attaque dans les conditions les plus défavorables qui soient, les chars manoeuvrant dans un terrain détrempé par la pluie et la neige qui délaient le sol dans un immense océan de boue crayeuse. Bientôt embourbés, immobilisés sous les feux croisés de l’artillerie allemande qui crible de ses obus cette cible magnifique – les réservoirs d’essence explosent, les moteurs sont brisés, des incendies s’allument qui éclairèrent ce jour-là l’héroïsme des chars d’assaut dans une splendide apothéose !

Le commandant Bossut tomba l’un des premiers, brûlé dans son char. Plus de la moitié de nos engins s’alignèrent comme des épaves, le long de la route nationale ou derrière la Ville-aux-Bois, sans pouvoir déboucher plus avant. …/…

Quelques chars du 2e groupe, sur l’Ailette, étaient arrivés dans la troisième ligne allemande vers Prouvais, avec le lieutenant Moëllo. Pris à revers par les tanks, les artilleurs allemands qui tiraient sur les cuirassiers à pied, s’enfuirent au galop vers l’arrière. C’était un beau succès pour nos armes si les autres chars avaient pu suivre. »

Page 216 :

«  Le soir du 16 avril, les nouvelles étaient assez mauvaises. Les résultats n’étaient pas aussi brillants qu’on avait espéré, l’avance n’était pas celle qu’on avait escomptée. Les troupes n’ayant pas atteint les positions d’artillerie ennemie, une réaction violente était à redouter. Le soir, les Allemands avaient contre-attaqué en force et en profondeur, suivant une nouvelle méthode ; nous avions reperdu une partie du terrain conquis. Nous sommes loin hélas ! de la rupture violente et immédiate qu’on avait espérée. Les mitrailleuses avaient brisé notre élan. »

Page 223 :

« Mais on avait exagéré le chiffre des pertes qu’on disait hors de proportion avec les résultats acquis. Des parlementaires qui avaient suivi l’attaque à l’Etat-major du général Micheler – nous en avons vus à l’observatoire de Roucy - répandirent l’émotion à la Chambre, l’alarme dans le public par des récits où les évènements étaient déformés et grossis. En réalité du 16 au 25 avril, nous avions eu 15.000 tués,  60.000 blessés, 20.000 disparus. 

Ce fut la fin de l’offensive bientôt suivie d’une redoutable crise morale et d’actes d’indiscipline dans plusieurs régiments ; ce fut la gloire du général Pétain d’avoir ramené la confiance et rétabli la discipline dans l’Armée.»

Page 274 :

« L’appétit des soldats en marche est solide et le repas substantiel. Après la dernière bouchée, le dernier coup de gnole, le même geste qui a remisé les couteaux dans les poches, en extrait la blague à tabac et les minces feuilles « Job » ou « Riz la Croix ». Les cigarettes sont roulées délicatement entre les doigts ambrés, les pipes s’allument aux becs d’un geste machinal. Les soucis, les angoisses, les fatigues s’envolent avec les spirales de fumée. Le tabac, « passe-temps des paresseux » au dire de Napoléon, a rendu les plus grands services pendant la guerre. Avec le pinard, il fut un des facteurs de la Victoire. »

Pages 290 – 291 (1918. Le secteur de Craonne, 23 mars) :

« La 51e division travaille à l’organisation défensive du plateau situé entre Aisne et Vesle. C’est une position naturelle de premier ordre qui se prête admirablement à la fortification. Les crêtes de Ventelay ont de merveilleux observatoires qui dominent toute la vallée de l’Aisne. On y accumule de nombreuses batteries. Grâce au travail intelligent et actif de nos soldats aidés de nombreux camarades italiens, la position se couvre de réseaux barbelés, de boyaux, de tranchées, d’abris bétonnés, de lignes téléphoniques souterraines. De plus, elle est protégée par l’Aisne et son canal. On se demande comment une position aussi fortement organisée et paraissant inexpugnable, ait pu tomber aussi rapidement aux mains de l’ennemi le 27 mai ! »

Page 295 (le 7 mars) :  

 « Au carrefour des routes, une humble chapelle d’osier s’élève sous les hauts fûts des hêtres qui lui font une voûte grandiose. Chapelle élevée à la mémoire des braves tombés sur ce sol et dont un émouvant tableau commémoratif m’a souvent arraché des larmes. Ce rustique sanctuaire décoré d’une image de la Vierge, de dessins modestes et touchants, que de visites et de confidences de poilus n’a-t-il pas reçues, de combien de prières et d’exquis sentiments n’a-t-il pas été parfumé ? Tout autour les obus tombaient sans l’atteindre, écartés par la main bénie de Notre-Dame, lui formant une auréole d’airain. »

Page 310 (fin avril) :

« Le P.C. de la division fonctionne à Roucy. Ses services s’abritent dans un château dont les tours et les murs massifs dominent la plaine de l’Aisne, offrant aux officiers d’état-major un merveilleux observatoire. C’est là que penché sur des papiers travaille le cerveau de la division : le général Boulangé, le chef d’état-major, le colonel de Tristan, MM Padovani, d’Hauterive. Je redescends vers la rivière par une rue à pic où se croisent les soldats de divers régiments. Une route camouflée mène à un bois assez dense où nos pièces de 75 et de 105 tirent sans arrêt. »

Pages 312 – 313 :

« L’aumônier, quand il n’est pas retenu aux ambulances et aux cimetières – par les morts et les mourants – passe son temps à parcourir les lignes pour porter aux soldats ses enfants, une bonne parole, une cigarette, une cordiale poignée de main, une absolution et souvent l’hostie sainte.

…/…

Les infirmières de la Croix-rouge ont été admirables de courage, de dévouement, de tendresse et d’ingéniosité au service des blessés. A tous elles rappelaient leur mère, leurs sœurs, le foyer. Nos blessés devenaient vite calmes et résignés quand ils voyaient leur blanche apparition voilée de bleu. Ce qui m’a le plus frappé au cours de mes nombreuses visites aux hôpitaux du front, disait le maréchal Fayolle, c’est l’action bienfaisante des infirmières sur le moral de nos soldats, le charme d’apaisement et de confiance qui se dégageait de leur seule présence. Pour le poilu elles représentaient l’espérance d’échapper à l’horrible mort ! »

Page 422

«  Le Dialogue des morts.

Prenez garde, Français !

Si les morts soudainement réveillés, soulevant la terre, rejetaient leur suaire, se dressaient hagards, sinistres dans une terrible clameur, le craquement épouvantable de leurs os broyés par la mitraille, et remplissant de leurs spectres décharnés, de leurs fantômes livides, nos villages et nos villes, ils seraient étonnés du cours des événements, de la laideur des gens, de l’étrangeté des choses…

Alors vengeurs et justiciers ils nous crieraient : « Qu’avez-vous fait de la Victoire si chèrement achetée, de la Paix que nous avions voulu juste et décisive ? Vous avez saboté notre victoire, et la paix édifiée sur des fleuves de sang, des monceaux de cadavres, est déjà menacée. Le sang des hécatombes n’est pas encore séché, tous les morts ne sont pas encore ramassés dans les champs, que déjà circule une rumeur guerrière « et passe sur l’Europe comme un grand frisson d’armes » !

L’Union Sacrée l’avions nous jurée dans le sang et la boue des tranchées ? Déjà elle est rompue. Qu’avez-vous fait de vos serments ? » 

Partager cet article
Repost0
8 juillet 2018 7 08 /07 /juillet /2018 05:48

(Editions Librairie du Travail. Imprimerie Centrale. Paris, 20 mars 1937).

 

Louis Hobey, instituteur et pacifiste, deviendra le Président de la Ligue des anciens combattants pacifistes. Il sera révoqué par le gouvernement de Vichy, pendant la seconde guerre mondiale, en raison de son activité de dirigeant syndicaliste. 

Comme beaucoup d’autres, son chemin est passé par Roucy pendant la Première Guerre mondiale.

Pages 117 – 118 :

« Début de 1917. L’hiver trouva la compagnie dans l’Aisne, au « Choléra », en avant de Pontavert. Vingt degrés au-dessous de zéro ! Le pain arrivait en ligne dur comme la pierre. Il fallait – enfilé par un bâton – le faire dégeler au-dessus des braseros qui brûlaient sans arrêt dans les sapes. Dans les bidons de pinard, des glaçons s’entrechoquaient. En ligne, les fusils-mitrailleurs tenaient constamment auprès de leurs armes de petits braseros fabriqués  avec des boîtes de conserves vides. Les sentinelles devaient marcher sans arrêt. « On les aura, les pieds gelés ! ». Cri général ; et dans ce cri il y avait, en même temps, que l’énoncé d’une vérité toujours tangibles, l’ironie féroce que les soldats du front marquaient pour les formules héroïques toutes faites, fabriquées par grosses à l’arrière. »

Page 120 :

« La nuit du 15 au 16 avril passa comme un cauchemar. Le régiment, en deuxième position, devait aller renforcer la première ligne quand elle serait épuisée, c’est-à-dire décimée. Il n’y aurait plus alors, selon la formule célèbre, qu’à exploiter le succès. Le matin apporta la rituelle distribution des jours d’attaque : la gnole mélangée d’éther, distribution de poison. »  

Page 122 :

«  On avait tourné le bois des Buttes. On avançait dans la plaine de Juvincourt. »

Page 122 :

«  Dans les jours qui suivirent on connut dans le détail la pagaïe de cette journée, marquée entre toutes d’un caillou noir. Réseaux de fils de fer encore intacts par endroits, fortins debout avaient brisé l’élan des vagues. Les tanks qui devaient accomplir des merveilles n’avaient pu atteindre la Nationale 44 : des obus avaient arrêté en pleine course les machines meurtrières. Elles étaient restées là, toutes, seize ou dix-sept, en ligne. Moreau devait les retrouver, plus tard, à ce qu’on appela le « cimetière des tanks ». Les servants avaient essayé de fuir sous les rafales qui déferlaient. Ils devaient rester étendus sur la plaine, pourrissant au soleil dans leurs habits tout neufs. La fosse commune elle-même ne les recevrait pas. »

Page 124 :

« La tranchée nettoyée, on repartait. Combien en prit-on ce jour-là ? Moreau ne le sut jamais. Le soir trouva la compagnie sur la plaine de Juvincourt, entre le « Bois des Buttes » tourné l’avant-veille et le « Bois des Boches », enlevé dans l’après-midi. »

Page 125 :

« A nouveau le front s’était figé. La bataille qui devait être la dernière de la guerre avait une fois de plus avorté. Bataille ? Non, massacre ! Ceux qui depuis toujours risquaient leur peau avaient, une fois de plus, payé en nombre imposant les lourdes fautes des généraux incapables qui n’en souffraient guère. »

Page 142 :

« Les deux salves de trois « cent cinq » venaient d’éclabousser l’eau de l’Aisne de chaque côté de la passerelle étroite réparée chaque jour par les gars du génie. On avait deux minutes. Temps considérable. La peur de la salve prochaine vous pousse à toute vitesse, vous et votre barda. On était passé, Roucy, village bombardé où l’on ne s’attardait pas. Plaisanterie habituelle : « ça sent le… Roucy ! » Les corps baignés de sueur avaient enfin gagné les baraquements de bois. Et c’était le repos – le filon, disait Boudois. »

Partager cet article
Repost0
7 juillet 2018 6 07 /07 /juillet /2018 16:23

(Librairie Hachette et Cie. 1918).

 

Louis Hourticq est né le 31 décembre 1875 à Brossac (Charente) et décédé à Paris le 15 mars 1944. Agrégé de Lettres, il fut professeur à l’Ecole des Beaux-Arts, inspecteur général de l’Enseignement du dessin et historien de l’art. Mobilisé comme officier en 1914, il sera élu membre de l’Académie des beaux-arts en 1927.

L’auteur est présent sur le front au 330e R.I.T. de la 103e DT jusqu’à la mi-1916, puis s'occupe de travaux divers de terrassement et ravitaillement dans un autre régiment jusqu’en mai 1917, période couverte par son récit. Ce livre est plus un recueil de réflexions que de récits.

En 1917, son chemin passe par Roucy.

Pages 172 – 174 :

« Cependant le fièvre d’activité paraissait s’éteindre un peu. D’abord un froid terrible était venu figer tout mouvement ; une neige épaisse obstruait les routes ; la terre gelée résistait à nos pioches. Quand elle se ramollit, les armées nageaient dans la boue et toute activité semblait devoir se stabiliser dans un enlisement général. Les journaux nous apportèrent de grosses nouvelles, plus grosses encore qu’elles ne semblaient tout d’abord : le recul allemand sur le front de la Somme, la révolution de Russie. Nos pioches continuaient de piocher en raison de la vitesse acquise ; mais l’impulsion si impérieuse en janvier devenait peu à peu intermittente et lointaine ; on aurait pu croire que l’on s’intéressait de moins en moins à nos travaux. J’ai déjà vu d’autres entreprises commencées fiévreusement et que nos tâcherons poussaient durant de longues semaines alors que les ordres qui les avaient mises en train étaient depuis longtemps rapportés. En serait-il de même cette fois encore ?

Non. Un réveil subit nous tira de cette dernière somnolence. Les signes précurseurs d’une action prochaine se précipitent ; et d’abord les mouvements de troupe. Nous allons nous installer auprès de l’Aisne, en face de Craonne. Au moment même où nos compagnies débouchaient sur le plateau de Roucy et s’installaient dans les baraques du camp, quelques obus, s’écrasant sous nos yeux, réveillèrent des impressions éteintes. Depuis quelques mois, le bombardement n’était pour nous qu’un grondement lointain ; et voici que nous entendions à nouveau le déchirement du métal et le ronflement des éclats dispersés hors du nuage noir. Sans se le dire, nos vieux troupiers comprirent que la trêve d’hiver était finie. Pour le cas où ce premier avertissement n’aurait pas suffi, un fort bombardement nocturne vint nous tuer du monde. Il fallut se réfugier dans les bois. Nous étions rentrés dans la bataille.    

Une tempête continue fouettait les plateaux. Sur les routes, coulait lentement une boue liquide. Courbés sous l’averse, nos hommes pataugeaient dans les flaques, ruisselant sous leurs capuchons de toile cirée. Enfin, dans la première semaine d’avril, la pluie cessa. La vallée de l’Aisne parut, illuminée, blonde, décolorée par l’hiver et le déluge. Des lacs s’étalaient sur les prairies, réfléchissant le ciel ; les beaux villages aux clochers aigus, suspendus sur ces nappes de clarté, semblaient ne pas peser. Des explosions, parfois, faisaient surgir un flocon noir de ces maisonnettes rouges et blanches comme des jouets, et dans l’atmosphère radieuse se gonflaient, de-ci de-là, les petits nuages vert pâle des shrapnells. Il était évident que l’inondation mettait un obstacle infranchissable devant notre armée et que le mouvement ne pourrait être tenté avant que la rivière fût dans son lit.

Chaque jour augmentait le nombre des ballons observateurs. Un matin nous en comptions plus de quarante sur nos lignes. Ils s’égrenaient sur le ciel, en deux rangées irrégulières qui se rencontraient en angle presque droit au cap de notre front, sur le promontoire de Roucy. Un rang allait se perdre vers l’Ouest dans la direction de Soissons, l’autre descendait sur Reims, vers le Sud-Est. Immédiatement les drachens allemands s’élevèrent en face, en nombre égal, noyés dans l’éloignement. Aussi souvent que le permettait la tempête, aussi longtemps que le soleil éclairait, ces gros cylindres aériens, tirant sur leurs cordes, restaient immobiles, face à face ; et ces points noirs qui étaient les yeux des deux armées jalonnaient sur le ciel le front de 50 kilomètres de la prochaine bataille.

C’est du sommet des plateaux qui surplombent Roucy qu’il faut examiner l’immense champ de bataille vers le Nord et vers l’Est. Le front nord suit le chemin des crêtes sur les hauteurs qui longent la rive droite de l’Aisne. Quand, il y a un peu plus d’un siècle. Napoléon marchait sur Blücher, il lui fallut escalader ces mêmes pentes de Craonne du haut desquelles les Prussiens, aujourd’hui encore, nous regardent venir. L’excellence de leur position défensive est impressionnante. Qui ne comprendrait la difficulté de passer sur un tel obstacle ? Le canon, tous les jours, écrase les ruines de Craonne qui dégringolent le long des pentes. Notre armée a pour tâche de franchir ce mur et de combattre, avec le fossé de l’Aisne à dos. La fumée des éclatements trace sur les sommets la ligne des creutes où sont terrées les mitrailleuses allemandes. »    

Pages 175 à 179 :

« C’est là, au bord de l’Aisne, devant Berry-au-Bac, que César installa les légions qu’il avaient amenées pour couvrir le pays des Rèmes menacé par une invasion du Nord. Les deux armées s’étaient fixées sur la rive droite, les Romains tournant le dos à la rivière, postés en tête de pont devant Berry-au-Bac ; le « camp de César » est indiqué sur la carte, à 4 kilomètres dans les lignes allemandes ; par temps clair, on discerne les hauteurs que suit la route de Guignicourt sur lesquelles le Romain avait posté son armée. En face, de l’autre côté du ruisseau de la Miette, les Barbares avaient installé leur camp dont les fumées et les feux de bivouac révélaient, jour et nuit, l’étendue. Les deux armées restèrent quelques jours en présence ; il y eut lutte acharnée pour la possession des acropoles de Craonne ou de Beaurieux peut-être et quelques échauffourées de cavalerie dans les prairies de Pontavert, les Barbares cherchant à traverser la rivière.

Après une tentative manquée, ils rentrèrent chez eux en se dispersant et les Romains, remontant la vallée de l’Oise, les reconduisirent jusqu’à l’Escaut. Pour de telles étapes, les plus fatigués sont prêts.

 

L’ « activité de l’aviation » se manifeste dans chaque repos de la tempête. Alors nos quatre canons spéciaux tirent à toute vitesse dans les trous d’azur entre les gros nuages. La nuit on entend les aviatiks ronfler et des bombes éclatent dans notre camp. Un soir, avant la nuit tombée, l’une de ces visites fut particulièrement mouvementée. Le ciel était chargé de grosses nuées qu’un vent violent chassait au ras des plateaux. Dans le sifflement de la tempête on perçut pourtant le ronflement d’un moteur, tant l’avion volait bas. Tout à coup il parut sur nos têtes, si près qu’il semblait devoir buter à la toiture de nos baraques. Mais il passa, poursuivant son vol, rapide et balançant sur ses deux ailes. Chose incroyable, nous avions reconnu la croix noire des oiseaux boches ; une telle visite dénotait tant d’audace que l’on aurait pu croire à un maquillage. Peu après, le même ronflement s’approcha en grossissant ; le même albatros revenait, survolant le camp à toute vitesse, emporté par la tempête dans laquelle on entendait son hélice hurler. Cette fois des coups de fusil partirent spontanément, des mitrailleuses s’en mêlèrent et aussi les canons. L’oiseau affolé rentra dans les nuages ; dès qu’il en sortait, les mitrailleuses recommençaient à crépiter ; il disparaissait alors dans le ciel bas, parmi les nuées galopantes, et nous comprîmes que cette bête était perdue. Comme un oiseau nocturne titubant et aveugle, elle fonçait dans le ciel, en sortait pour y rentrer, chassée par les balles. Enfin elle se laissa emporter par la tempête un peu plus loin et deux officiers allemands harassés et transis y furent cueillis. Ils revenaient d’une grande bataille aérienne sur le front anglais. Cet oiseau perdu dans la tourmente, traqué entre ciel et terre, ces ailes immenses qui fauchaient en sifflant notre plateau, les cris, les balles, le canon et le vent, cet épisode est resté dans ma mémoire, car il arrive rarement à la guerre de rencontrer des spectacles marqués d’épouvante et de grandeur. 

C’est le lendemain de Pâques que la canonnade devint assez intense pour que l’on pût y reconnaître la préparation du grand coup. Au Nord, sur les crêtes le long du Chemin des Dames, des nuages noirs, blancs, vert pâle, se gonflaient subitement de place en place puis montaient sur le ciel très haut, emportés peu à peu par le vent. Vers l’Est, ils surgissaient par endroits sur la plaine chauve de Champagne, depuis le bois des Butes jusqu’à la montagne de Prouvais, et la ligne des explosions s’étendait le long du canal de Berry-au-Bac jusqu’au-delà de Brimont. Mais c’est au centre de ce front, à Craonne même, que le travail était le plus intense. Les ruines accrochées au flanc de la falaise paraissaient chaque jour plus informes. Les points et les lignes qui dessinaient encore des pans de mur s’effaçaient dans une tache pâle et confuse où l’on ne distinguait plus le roc écroulé et les maçonneries détruites. Sur le cap aigu comme un récif, une chevelure énorme de fumées flottait dans la tempête. Sur les trois bosses du bois des Buttes jaillissaient des jets noirs rougis de reflets, puis une large nappe de vapeur traînait sur le sol. Un nuage blanc, constamment renouvelé, roulait sur Corbény.

Le vent d’Ouest qui ne cessa de souffler sur les Boches emportait, avec la fumée, le tonnerre des explosions. Il n’en passait qu’un grondement confus par-dessus le sifflement des bourrasques ; il en paraissait plus formidable dans les accalmies de l’ouragan. L’artillerie allemande répondait parfois, avec rage, sur nos bois, crépitant, étincelant de coups de départs, sur Pontavert, le passage obligatoire. De temps en temps, une explosion plus puissante ébranlait jusqu’au sol ; un dépôt de munitions venait de sauter et un champignon de fumée noire, haut comme une montagne cachait pour un long moment l’horizon.

Dans ces jours qui précédèrent la péripétie finale, la nature prit part aux angoisses du drame formidable. D’énormes nuées roulant vers l’Est mettaient au-dessus de la bataille un ciel mouvant. Quand les rayons du soleil pénétraient dans cette sombre chevauchée, c’était pour jeter une clarté brutale sur d’énormes cumulus, d’aspect si compact et si pesant que l’on croyait entendre les écroulements de quelque cataclysme céleste dans le grondement du canon. Et quand un soir d’orage, du haut de Roucy ou de la ferme Saint-Jean, on regardait la Champagne, les panaches blêmes des explosions moutonnaient sur la plaine assombrie, comme l’écume livide sur une mer de plomb.

Enfin, un matin, des ronflements de moteurs et des grincements de chaînes réveillèrent le camp. Sur la route qui grimpe les pentes de notre plateau rampaient en monômes de grosses autos d’aspect sournois ; en avant, une face fermée, comme un heaume à visière baissée, un bec aigu, des yeux obliques ; un canon sort de sa petite gueule menaçante ; à l’arrière, les canonniers, sur une plate-forme, respirent par la porte ouverte hors du coffre de métal. Les lourdes bêtes avançaient cahin-caha, avec des secousses de l’arrière-train, et mordant à pleines chaînes la terre fangeuse. Elles allèrent se tasser dans une dépression et dormirent la journée sous des toiles de camouflage. Le lendemain elles avaient disparu. A notre tour, nous nous rapprochons de la bataille.

Pages 180 - 181 :

« J est arrivé. Nous sortons de nos terriers de nuit. La pluie a cessé. Mais le ciel est clos ; de gros nuages serrés glissent d’un seul mouvement. Vers quatre heures, une étroite déchirure se produit au Nord-Est, au bord de l’horizon. C’est là que va se tenter la trouée ; la lumière tranche l’ombre d’une lame aiguë et le glaive de feu reste un moment posé au ras du ciel. Toute la nuit, la grosse artillerie a grondé ; dans nos trous, nous sentions les trépidations de la terre. Il me semble maintenant que la fièvre se calme aux approches du petit jour.

Les hommes, écrasés sous l’équipement, glissent sur les pentes de boue, se rassemblent péniblement. Mais c’est en silence que, cette fois, ils se bousculent. Quand nous arrivons à la sortie du village de Roucy le matin éclaire déjà d’une lumière terne et décolorée. Les défilés qui n’ont pas cessé de toute la nuit vont s’achever. Dès que l’attaque sera commencée, ces passages vont être arrosés par l’artillerie allemande. Des convois, des autos-camions, des cavaliers armés de longues lances passent au pas, puis, en sortant du village, filent au trot allongé. Les Allemands ne savent-ils donc pas que l’heure de l’attaque est arrivée ? Un seul obus est venu se briser à la sortie du village.

A six heures six minutes, nous entrons à notre tour dans la colonne qui s’écoule sur la route pour traverser l’Aisne à Pontavert. C’est le moment même où les vagues d’assaut ont surgi des tranchées.

Un roulement de canons vient de s’étendre de l’Ouest au Sud, de Soissons à Reims : le barrage des 75 qui nous avertit que nos troupes s’élancent. Ce n’est pas le bombardement sourd des engins de tranchée,  le tapage inégal de la grosse artillerie ; c’est un battement extraordinairement rapide, le galop précipité de milliers de chevaux, le crépitement de la grêle sur les toits. A Verdun, le martellement de notre artillerie paraissait morne et accablant ; mais ce n’est pas ici le sombre acharnement du roc devant la ruée inlassable des vagues ; c’est nous qui marchons et ces milliers de tambours rythment l’assaut, enlèvent le pas des plus lourds. La route a semblé courte de Roucy à Pontavert. Nous avons franchi sans accroc le canal de l’Aisne ; des pontonniers travaillaient encore aux passerelles. »

Pages 187-188 :

« Le soir vient ; je me décide à ramener mes hommes à Pontavert ; des gens du génie qui marchent avec nous ont reçu l’ordre de rejoindre leur unité. Nous refaisons, d’un pas lourd, cette route que nous suivions si allégrement le matin. Retour morose d’une excursion manquée. L’espoir, la curiosité qui nous poussaient sont tombés ; et l’on sent davantage le poids du fourniment. »

Page 189 :

« Dans cette journée du 16 avril, rien de particulièrement pénible n’est venu nous avertir que la journée n’était pas bonne. Elle avait été moins dure que beaucoup d’autres. Ce n’est pas une marche de nuit, sous l’averse et la neige, qui peut sembler un événement désastreux. Aussi, à part quelque fatigue, n’y avait-il point de tristesse chez ces hommes qui revenaient à leur point de départ. C’est à la réflexion seulement que, me trouvant, à l’aube, au sommet de ces plateaux d’où nous étions descendus pour aller vers le Nord-Est, je compris que nous venions de renoncer à la poussée en avant. » 

Partager cet article
Repost0
7 juillet 2018 6 07 /07 /juillet /2018 05:31

(Librairie Arthème Fayard. 5éme édition. 1er trimestre 1960)

 

Jean Ratinaud est le fils d’un officier de réserve tombé au Chemin des Dames. Il rappelle dans cet ouvrage la grande entreprise méditée et conduite par le général Nivelle, l’offensive d’avril 1917, qui se solda par un échec et posa des problèmes multiples à la fois militaires, politiques et diplomatiques. Cette offensive malheureuse  engendra une crise morale de l’armée française qui la conduisit au bord de la ruine.

Roucy, qui n’est pas mentionné dans cet ouvrage, était une base de repos ou de départ pour le Bois des Buttes et un poste d'observation privilégié. L’extrait ci-dessous résume le début de la « grande offensive » dans ce secteur, c’est pourquoi il a paru intéressant de le présenter.

Pages 226 à 233 :

« Pendant que Mangin échoue devant Le Chemin des Dames, que fait Mazel avec sa Ve armée ? Il dispose, on le sait, de 5 corps renforcés et opère, ne l’oublions pas, sur un terrain plus facile, moins difficile si l’on préfère, que son voisin, sauf à l’ouest de son secteur. Le haut commandement va-t-il trouver, entre Craonne et Reims, la victoire qui le fuit ailleurs ?

En liaison avec le 2e corps colonial de la VIe armée, le Ier corps d’armée, vétéran de la Marne et de Verdun, est chargé d’enlever, pour commencer, la partie est du plateau de Vauclerc, le plateau de Californie sur lesquels s’épanouit le Chemin des Dames. Il doit donc, comme son voisin de gauche, escalader des pentes abruptes que couvrent, en avant, des réduits fortifiés dont le principal est le village de Craonne. Le départ, à six heures du matin, semble bon, mais immédiatement après commencent les difficultés. Les trois divisions d’assaut – les 162e, Ire et 2e – bronchent devant les feux ajustés des mitrailleuses ennemies astucieusement camouflées. La Garde prussienne, qui occupe ce secteur, multiplie de courageuses contre-attaques. L’avantage le plus net est obtenu au plateau de Vauclerc où la Tranchée de Luttwitz, une position particulièrement forte, est brillamment enlevée. Partout ailleurs, l’offensive vient mourir au pied de la falaise. Les pertes se révèlent atroces, notamment à la 2e division où le régiment de réserve de Cherbourg, le 208e termine en lambeaux la terrible journée du 16 avril. Les rapports du général commandant le corps d’armée rendent un son inhabituel chez les militaires de carrière, fait de désespoir et de pitié.

A droite du Ier corps, le 5e s’élance du Bois des Buttes au ruisseau de la Miette. Nous nous attarderons un peu ici car les résultats obtenus tranchent, à quel prix ! sur la mortelle grisaille de ce sombre jour. Le terrain se présente bien dégagé en face des Français, sauf dans le secteur du Bois des Buttes lui-même que composent deux taillis puissamment organisés. L’objectif est d’abord de s’emparer, au-delà de la route nationale 44 (Laon-Reims), des villages de Juvincourt et d’Amifontaine. Les 10e et 9e divisions attaquent, soutenues, à gauche, par un groupement de chars. La position française de départ décrit un « rentrant » qui correspond à un saillant du front allemand. La première ligne ennemie, le Bois des Buttes, encore appelé dans sa partie est Bois des Boches, est truffée de mitrailleuses, creusée de places de rassemblement pour les troupes de contre-attaques. Sur sa face nord-ouest, il est étayé par le hameau de La Ville-aux-Bois fortement organisé lui aussi, qui surveille la plaine à l’ouest. En arrière du Bois des Buttes, une seconde position suit approximativement le tracé de la route nationale et a été particulièrement renforcée au lieu dit La Musette. Par ailleurs les Allemands ont avancé de l’artillerie qui tirera à vue entre La Musette et le village de Juvincourt.

Le commandant du 5e corps, le général de Boissoudy, voudrait que ses deux divisions débordent par l’ouest et l’est le Bois des Buttes, qu’elles se donnent la main au-delà et attaquent Juvincourt qui doit être atteint après trois heures de combat. Cette solution semble logique encore qu’un peu optimiste. Donc la 10e division attaquera à gauche, entre le Bois de Beaumarais et le Bois des Buttes, la 9e, à droite, entre le Bois des Buttes et la Miette. La 10e part très bien, avec l’appui des chars. Elle enlève, à l’ouest des Buttes, des systèmes fortifiés aux noms pittoresques : Tranchée des Dardanelles, du Sultan, d’Enver Pacha. A mi-chemin entre la position de départ et la route nationale, l’attaque est stoppée par des mitrailleuses tirant de front depuis la N 44, l’artillerie allemande avancée et surtout des coups de flanc qui proviennent de La Ville-aux-Bois et de La Musette. Une partie des chars est détruite en marche, une autre tombe en panne, vouée elle aussi à la destruction ; le reste – 12 appareils – peut regagner la position d’attente dans le Bois de Beaumarchais ; ce groupement n’a pas rendu, dans l’ensemble, tous les services que l’on espérait de lui. Désemparée, l’infanterie flotte. Quelques éléments parviennent jusqu’à la route nationale et s’y organisent défensivement. Cependant le reste de la 10e division manœuvre en lisière du Bois pour progresser et parvenir à La Ville-aux-Bois. Mais la préparation d’artillerie, pourtant très soignée ici, n’a pas anéanti les défenseurs des taillis de bordure qui disputent le terrain pied à pied. Au prix d’un effort immense, le 31e régiment d’infanterie réussit à nettoyer la lisière du Bois des Buttes et touche aux premières maisons du hameau. Il n’a plus la force d’en tenter l’assaut.

Plus à droite, la 9e division réalise l’exploit de la journée. Son régiment qui borde la Miette fonce droit devant lui dans un magnifique élan, enlève les organisations le long du ruisseau, dépasse la route Laon-Reims, atteint entre celle-ci et Juvincourt, un boqueteau appelé Bois von Kluck (aujourd’hui disparu au milieu des pistes construites par les Allemands au cours de la deuxième guerre mondiale pour créer un camp d’aviation). A 8 heures du matin, l’artillerie ennemie, audacieusement, imprudemment avancée jusque-là, est détruite ou capturée ou enfin retirée avec précipitation. L’assaut de Juvincourt se prépare. A ce moment, le 82e régiment d’infanterie qui se trouve en pointe reçoit dans le dos des feux de mitrailleuses qui proviennent de La Ville-aux-Bois et de La Musette. Que s’est-il passé ? Nous avons déjà constaté que la 10e division n’avait pu s’emparer de La Ville-aux-Bois. D’autre part, le 4e régiment d’infanterie qui devait suivre la lisière est du Bois des Buttes (Bois des Boches) s’est heurté à une résistance farouche et à des contre-attaques venues des taillis : il n’a donc pu s’emparer de La Musette dont les armes tirent dans toutes les directions. Enfin le 313e régiment d’infanterie, qui avait pour mission de pénétrer dans le Bois lui-même, se trouve aux prises avec un ennemi qui possède évidemment l’avantage du terrain et qui l’a très vite stoppé.

« Ne pas se soucier des résistances locales » a dit et écrit Nivelle. Boissoudy obéit. Il s’efforce d’accentuer l’avantage de son aile droite et d’enlever Juvincourt. Les premières maisons sont atteintes à 11 heures du matin (après six heures et non trois heures de lutte). Mais débouche alors des ruines une furieuse contre-attaque qui rejette le 82e régiment sur le Vieux Moulin de Juvincourt où il s’organise défensivement. La situation devient critique en vertu même du succès d’abord obtenu car le 82e est situé en flèche par rapport à ses voisins. Pressé de front, il est accablé par les feux de flanc. Mais il se bat avec un courage qui force l’admiration, se cramponne au terrain conquis et souffre mille morts. L’ennemi perd d’ailleurs lui aussi beaucoup de monde. Au total, lorsque la nuit tombe, le 5e Corps d’armée a enlevé la première ligne ennemie, sauf le Bois des Buttes lui-même qui est seulement entamé. La position de Juvincourt est abordée mais demeure à peu près intacte. Nous avons fait 1 500 prisonniers dont 24 officiers dans le secteur. Succès donc qui honore le 5e corps et ajoute à sa gloire passée, mais la rupture espérée, annoncée n’a pas été obtenue.   

A l’est du 5e corps, le 32e attaque depuis la Miette jusqu’au village de La Neuville, dans un secteur très difficile parce que coupé, interrompu par le cours du canal en oblique par rapport au front. En outre on se souvient que ce même secteur a été troublé, au début du mois, par un audacieux coup de main ennemi : les Allemands ont sans doute pénétré nos plans. Le général Passaga, un des chefs les plus prestigieux de l’armée, commande le 32e corps qui met en ligne les 69e, 42e et 40e divisions d’infanterie. Cinq groupes de chars (132 appareils) dirigés par le commandant Bossut, le pionnier de l’artillerie d’assaut, appuient l’attaque. Nous savons déjà par la présentation du lieutenant Ch… de quels appareils dispose Bossut. Le but à atteindre, pour l’ensemble du corps d’armée, est constitué par les organisations dont le village de Prouvais est le réduit. Elles sont protégées en avant par une série de buttes fortement défendues dont la plus élevée, la plus redoutable est le mont Sapigneul. L’action des chars se situe à l’extrême-gauche du secteur, au profit non seulement du 32e corps mais aussi du 5e en direction de la ligne Juvincourt-Prouvais. L’action se déroule de manière particulièrement décevant pour le commandement. La 40e division, après une lutte sauvage, s’empare de l’une des buttes, la tragique cote 108, qui bloque dès le départ son avance, mais, épuisée, elle s’en tient à ce succès d’ailleurs précaire. La ; 42e, unité d’élite s’il en fut, l’ancienne division Grossetti, célèbre depuis les Marais de Saint-Gond et la défense de Nieuport, lutte toute la journée pour prendre les organisations dites du Camp des Romains. Elle y parvient mais, ayant subi des pertes terribles, doit s’arrêter après ce succès. La 69e, bien appuyée par les chars au début de l’après-midi, se montre plus heureuse et parvient jusqu’à la ligne Bois des Béliers-Ferme Mauchamp. Mais la liaison de l’artillerie avec les tanks et avec une infanterie sans expérience de ce nouveau mode de combat demeure défectueuse. Bientôt les appareils avancent en enfants perdus et son immobilisés par des pannes. Ils tombent parfois aussi dans des pièges et reçoivent des concentrations d’obus lourds. 57 chars sont détruits, incendiés. Il en jaillit des torches vivantes et hurlantes qui se roulent au sol, en proie à d’indicibles souffrances. 64 appareils sont plus ou moins endommagés. 11 seulement reviennent intacts sur la ligne de départ poursuivis par les 210 de l’ennemi. 33 officiers, 147 sous-officiers ont été tués, broyés ou brûlés vifs. Le commandant Bossut est tombé dans l’action. On a pu ramener son corps et il repose, à quelque distance des lignes, par hasard non défiguré, toujours mince et beau, le visage calme, dans un de ses chars transformé en chambre funéraire. Près de lui son frère prie et ses compagnons pleurent un chef admirable. L’arme blindée a reçu, le 16 avril, ses lettres de noblesse mais elle n’a pas encore découvert l’efficacité qui la rendra, quelques mois plus tard, redoutable. Dure leçon, leçon sanglante, mais non point inutile. »

Pages 234 – 235 :

« Au total, le 16 au soir, la Ve armée s’est emparée de presque toute la première ligne allemande ; elle a entamé la seconde entre Craonne et la Miette. Elle a fait 7 000 prisonniers. Mais trois de ses divisions au moins, les 37e, 40e, et 2e, sont pratiquement détruites, et les autres ont beaucoup souffert. Mazel dispose certes de 4 divisions fraîches à portée d’intervention. Que pourront-elles en face des 15 divisions que Ludendorff se prépare à engager ? Que pourront-elles en face des 392 batteries que l’ennemi met encore en action ?

Mangin partout bloqué. Mazel qui piétine et s’essouffle. Que va faire Micheler, à Dormans ? Et surtout que peut espérer, que veut entreprendre Nivelle à Compiègne ? »

Page 236 :

« Au cours de la nuit du 16 au 17, les officiers de liaison envoient leurs premiers rapports un peu détaillés. Ils sont décourageants : les contre-attaques ennemies ont regagné le peu de terrain conquis et les nouvelles de la nuit semblent pires encore. »

Page 237 :

« Nul cependant à Compiègne ne songe à stopper l’affaire. Nivelle, son cabinet militaire et l’Etat-Major lui-même croient qu’il faut persévérer. Le 16 avril a été un jour néfaste, soit. Il peut être suivi de jours plus heureux. On se leurre notamment de l’espoir que les quelques gains de terrain, pourtant bien modestes, obtenus par la Ve armée marquent le début d’une retraite, sinon d’une débâcle de l’ennemi. »

Page 295 :

« Painlevé, Ribot, Lacaze, Nivelle, Pétain savent que leur armée se trouve à bout de souffle. Ils connaissent les chiffres, les chiffres tragiques des pertes : du 16 au 30 avril, nous avons eu dans les secteurs d’attaque 117 000 hommes mis hors de combat dont 28 000 tués, 20 000 prisonniers, 84 000 blessés dont 15 000 seulement sont des blessés légers. Il y faut ajouter 5 183 Russes et 7 397 Sénégalais tués, prisonniers ou blessés. 117 000 hommes, le chiffre d’une population comme celle de Nantes ou Toulouse, et en moins de quinze jours. Moyennant quoi, les mêmes Painlevé, Ribot, Lacaze, Nivelle et Pétain s’engagent à « continuer la bataille avec toute l’énergie possible ! » Et pendant tout l’été ! »

Page 295 :

« Donc, le 6 mai 1917 au soir, les dernières illusions ont achevé de se dissiper : l’armée française n’a percé nulle part ; elle ne percera pas. »  

« 1 018 officiers ont été tués, 2 403 blessés et 314 ont disparu, dont une proportion notable de prisonniers. On compte d’autre part 22 706 sous-officiers et hommes de troupes tués, 84 197 blessés et 24 686 disparus dont probablement 3 500 ont été pris par l’ennemi, Sénégalais et Russes compris. Soit un total général de 135 324 Français mis hors de combat. »

Partager cet article
Repost0
6 juillet 2018 5 06 /07 /juillet /2018 15:12

Préface de Stéphane Audoin-Rouzeau.

(Imago, 1998, 2003)

.

 

Jeune Normalien, ami de Romain Rolland, Paul Tuffrau fait toute la guerre 14-18 sur le front. Acteur réfléchi, observateur lucide, il décrit dans ses Carnets la fièvre de la mobilisation, les terribles batailles où il se trouve engagé – dans les secteurs de la Marne, de Soissons, en Artois, à Verdun, au Chemin des Dames… - et la dure vie des tranchées.

Paul Tuffrau sait voir, écouter, raconter et, en dépit de la réalité infernale, il garde son humanité.

Remarqué par le général Mangin pour ses qualités de chef, il refusera d’être rattaché à l’état-major, et demeurera sur le front, avec ses hommes, jusqu’à la fin de la guerre. Paul Tuffrau sera démobilisé en mars 1919 : « La vie reprend, les choses sont les mêmes, nous seuls avons changé », écrit-il à son retour.

Stéphane Audoin-Rouzeau est codirecteur du Centre de Recherches de l’Historial de la Grande Guerre à Péronne et professeur d’Histoire contemporaine à l’Université Picardie-Jules Verne.

Paul TUFFRAU a été mobilisé, dès le 2 août 1914, comme sous-lieutenant au 246e régiment d’infanterie.

En mai 1916, il est à Concevreux quand quatre soldats du 96e R.I. sont condamnés à mort « pour l’exemple », à Roucy, par le conseil de guerre de la 55e Division.

C’est ce passage que nous reproduisons ci-dessous.

Page 119 – 120 :

« Concevreux 30 mai 1916. De tous côtés ici, bruits de paix ; c’est même le vœu de tous ; et, à l’Hôtel des Trois Poissons, j’étais le seul à défendre la continuation de la guerre, au point de vue de la dignité nationale, que tout le monde taxait (peut-être avec raison) «  d’amour-propre stupide » : pays voué à la ruine, disaient-ils, parce que saigné d’hommes, écrasé de dettes, diminué dans sa productivité et dans son activité commerciale ; épuisement financier, inutilité des massacres.

Dans les premiers jours de la semaine, il y a eu un matin quatre soldats du 96 fusillés près de Roucy, par le 5e bataillon de chez nous. La veille, on avait commandé de service une compagnie, cantonnée à Concevreux, pour 3 heures du matin ; on n’avait pas dit pourquoi, mais les hommes se doutaient, et les groupes étaient nombreux qui discutaient. Je n’ai pas entendu la salve, mais j’ai su, par Bourgeois et par Geoffroy, qu’on avait amené les condamnés une heure trop tôt, avant les troupes ; qu’un d’eux, un fort gaillard de dix-neuf ans, engagé pour la guerre, vitalité de taureau, hurlait d’une voix profonde et puissante : « Me tuer, moi ? Allons donc ! mais c’est impossible ! «  Bayon dirigeait l’exécution ; il avait fait préparer quatre poteaux, apporter des cordes car il devinait qu’ils se débattraient ; cela a été vite fait, chacun ayant hâte d’en finir ; aussitôt attachés, les quatre pelotons ont fait en ligne face à gauche, visé, et sans même qu’il y ait eu de commandement, le premier coup de feu a entraîné les autres. Après quoi, Bayon a infligé huit jours d’arrêt à un maréchal des logis qui devait représenter la division et qui est arrivé avec quatre minutes de retard : « Vous faites mourir ces hommes deux fois, vous ! »

Sapinière, 3 juin 1916. Il y a eu deux cas de folie dans la compagnie de Lhomme. Le soir de la relève, un sergent vient lui dire que X… inquiétait tout le monde. Il le fait venir : « Voilà, mon lieutenant, je suis prêt. Je sais que je dois être fusillé demain matin, j’aime autant y passer tout de suite. » Il a vainement essayé de le raisonner, lui demandant sa faute : « Eh bien, après l’exécution de l’autre jour, j’ai écrit chez moi. On a ouvert ma lettre, et je vais être fusillé. » - « Qu’est-ce que vous aviez donc écrit ? » - « Eh bien, j’avais écrit qu’au bout de vingt mois de campagne, il fallait que les chefs soient vraiment cruels pour mettre quatre de nos camarades au poteau. » Idée fixe. Evacué. »  

Partager cet article
Repost0

Nous Sommes ...

  • : Le REGAIN
  • : Association loi 1901 -Sauvegarde du patrimoine local de ROUCY (02160)...
  • Contact

Ensemble pour....

 bandeau Gibeau moulin v3

Recherche

Rejoindre "le regain regards"

Archives

L'actualité du Regain